INTERVIEW«Renoncer à la loi Travail serait une lourde erreur», pour l'UE

Pierre Moscovici: «Renoncer à la loi Travail serait une lourde erreur»

INTERVIEWPierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques, détaille en exclusivité pour les lecteurs de « 20 Minutes » ce que Bruxelles demande à la France pour l’année à venir…
Céline Boff

Propos recueillis par Céline Boff

Ce mercredi, la Commission européenne adresse, comme chaque année, ses « recommandations » aux Etats membres. Quelles réformes attend-elle de la France ? Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques, le détaille en exclusivité pour 20 Minutes.

Quelles sont les recommandations de Bruxelles à la France ?

Nous lui demandons de poursuivre ses efforts sur trois fronts. Primo, sa politique budgétaire. Le président de la République souhaite diminuer l’impôt des ménages en 2017, c’est une option légitime, mais la France doit trouver les moyens de compenser cette baisse, car son déficit doit absolument passer sous la barre des 3 % en 2017, comme elle s’y est engagée. Secundo, la lutte contre le chômage. Si la Commission européenne encourage la flexibilité, elle souhaite également promouvoir la sécurité pour les travailleurs, et celle-ci passe notamment par un meilleur accès à la formation tout au long de la vie. Enfin, la France doit continuer d’améliorer la compétitivité de ses entreprises.

Vos recommandations sont les mêmes que l’an dernier…

Pas tout à fait, dans la mesure où elles sont plus synthétiques et stratégiques. En outre, ce sont des terrains sur lesquels nous observons des améliorations. Contrairement à ce que je peux entendre, la France n’est pas le mauvais élève de l’Europe, mais elle ne doit pas relâcher ses efforts. Prenez le taux de chômage :il devrait être de 10,2 % cette année, contre 10,4 % en 2015. La direction est donc la bonne mais il faut continuer, car personne ne peut se satisfaire d’un tel chiffre.

Justement, quel regard portez-vous sur la loi Travail ?

Ce n’est pas mon rôle de la juger. Tout ce que je peux dire, c’est qu’une réforme est indispensable et qu’y renoncer serait une erreur lourde. La France est le 21e pays de l’UE en termes de taux de chômage. Le marché du travail français est incontestablement trop rigide : il est extrêmement difficile d’y entrer, il n’est pas facile d’en sortir, et les plus précaires ne sont pas correctement protégés.

Mais les sondages montrent que les citoyens sont très hostiles à la loi Travail…

Les Français ont souvent le même réflexe quand une réforme se présente : celui de s’y opposer. Cela ne signifie pas que la réforme n’est pas nécessaire et qu’elle ne doit pas être menée. Dans le cas contraire, la France n’aurait jamais, par exemple aboli la peine de mort, même si comparaison n’est pas raison. En outre, je pense que la volonté du peuple doit s’exprimer dans les élections, pas dans les sondages.

Pourquoi Bruxelles se permet-elle de demander à la France de telles évolutions ?

Nous sommes tenus de le faire par des traités que les gouvernements et les Parlements de l’Union européenne, à commencer par celui de la France, ont signés. Et ils l’ont fait pour que les politiques économiques des 28 pays de l’UE soient mieux coordonnées.

Le 3 avril dernier éclatait le scandale des « Panama papers ». Qu’avez vous fait depuis ?

Avant même l’éclatement de ce scandale, nous avions préparé un paquet de mesures afin de lutter contre l’évasion fiscale, notamment celle des multinationales. L’objectif est de taxer les profits des entreprises là où ils sont réalisés. J’espère que ce paquet sera adopté par les ministres des Finances le 25 mai, pour être opérationnel au plus tard début 2017. Suite aux « Panama papers », j’ai également proposé de créer, d’ici à six mois, les critères pour constituer une liste noire européenne commune des paradis fiscaux. Enfin, nous souhaitons mettre en place un reporting public. Concrètement, les multinationales réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros devront rendre publiques leurs données comptables et fiscales, pays par pays. C’était une demande des ONG et du Parlement européen, et nous serons la première zone économique du monde à la mettre en place.

Quand ces évolutions seront-elles effectives ?

La balle est dans le camp des Etats membres. Je sens parfois une résistance chez certains d’entre eux, mais les révélations comme celles des « Panama papers » nous donnent de la force pour avancer : la pression populaire et médiatique est si forte qu’il devient très difficile d’y résister. Il faut espérer que cette pression ne se relâche pas.

Dix-huit mois de prison avec sursis ont été requis contre le lanceur d’alerte Antoine Deltour, accusé d’avoir soustrait des documents révélant les pratiques fiscales de multinationales au Luxembourg. Il sera fixé sur son sort le 29 juin. Quel regard portez-vous sur cette affaire ?

Je n’ai pas à me prononcer sur une affaire judiciaire, mais je considère que le rôle du lanceur d’alerte est tout à fait utile et que ces personnes doivent être encouragées plutôt que blâmées.

Un accord devrait être trouvé avec la Grèce le 24 mai. Le pays touchera de l’argent s’il applique un nouveau plan d’austérité. Plus d’impôts, moins d’emplois publics, moins d’aides… Voilà le programme pour les Grecs. Quel est le but ?

De faire en sorte que la Grèce devienne une économie soutenable ! Je comprends que l’on puisse critiquer des réformes jugées austères, mais personne ne peut défendre le statu quo en Grèce. Or, depuis six ans, les réformes n’ont jamais été menées. Celles que nous proposons permettront à la Grèce de devenir plus compétitive et ainsi, de retrouver la croissance et d’attirer les investisseurs étrangers.

Mais ne faudrait-il pas annuler au moins une partie de sa dette ? Même le Fonds monétaire international (FMI) le demande…

Cette dette est détenue par les Etats membres et aucun d’entre eux, je dis bien aucun, n’est prêt à accepter des pertes qui reposent in fine sur les contribuables européens. En revanche, nous étudions les moyens d’alléger à court terme les modalités de remboursement.

Les Britanniques se prononceront le 23 juin par référendum sur leur maintien ou non dans l’UE. Un sondage montre que les Français voudraient eux aussi s’exprimer sur cette question. Y êtes-vous favorable ?

J’y suis résolument hostile. La France n’organisera jamais de référendum sur son caractère républicain ou encore sur sa laïcité, car ce sont des éléments constitutifs de son identité. Il en est de même pour l’Europe : la France appartient à l’UE, elle en est même un pays fondateur, et on ne fait pas de référendum sur sa propre identité. Et cette identité européenne, les Français en sont fiers.

Vraiment ?

Oui. Bien sûr, ils sont insatisfaits du fonctionnement de l’UE, ils attendent d’autres réponses, mais ils sont fiers d’être un pays fondateur et moteur de l’Europe. Et les dirigeants français devraient l’être davantage. Je souhaite que les pro-européens en France soient moins timides, qu’ils clament que s’il n’existe pas de France sans Europe, il n’existe pas d’Europe sans la France. J’ai déjà appelé à une voix française plus forte en Europe et je vais moi-même y contribuer : je suis en train d’écrire un livre sur ce sujet. Il sera publié à l’automne, soit avant le débat présidentiel français, non pas pour faire campagne, mais pour interpeller les candidats sur cette question. Ils ne doivent pas l’esquiver. Ils ne doivent plus l’abandonner aux populistes.