Médicaments: Pourquoi le gouvernement cherche-t-il à freiner la vente en ligne?
SANTE•D’après l’Autorité de la concurrence, le ministère de la Santé prépare un texte qui nuit à la commercialisation des médicaments sur Internet…Céline Boff
Vêtements, alimentation, voyages, biens culturels, meubles, appareils électroménagers… Ces produits, les Français les achètent de plus en plus via Internet. Mais il existe une catégorie de biens qu’ils boudent largement sur le Web : les médicaments. Moins de 1 % des médicaments achetés en France le sont en ligne. Il faut dire que le gouvernement ne cherche pas à favoriser ce canal de distribution, comme le dénonce ce mardi l’Autorité de la concurrence. 20 Minutes fait le point.
Quels médicaments peuvent être vendus en ligne ?
Depuis le 2 janvier 2013, les Français peuvent acheter sur Internet tous les médicaments délivrés sans ordonnance en France. Soit ceux que l’on appelle les « OTC », comprenez les antidouleurs, l’homéopathie, les sevrages tabagiques, certains sirops contre la toux, certains cachets contre les troubles digestifs, etc. Ils représentent environ 15 % des revenus d’une officine française, soit un marché global de 3 à 5 milliards d’euros.
Ce n’est pas le gouvernement français qui a souhaité cette évolution : il a dû transposer dans son droit une directive européenne de 2011 imposant aux États membres de permettre la vente à distance au public de médicaments au moyen de services électroniques. Ce que faisaient déjà depuis 1999 le Royaume-Uni (y compris pour les médicaments sur ordonnance), depuis 2003 l’Allemagne (tous médicaments) ou encore depuis 2010 l’Italie (seulement les OTC).
Par qui peuvent-ils être vendus ?
En France, uniquement par des pharmaciens et seulement par ceux qui possèdent une officine en dur. Autrement dit, les « pure players », ceux qui vendent seulement en ligne, sont interdits (certains autres pays les autorisent, par exemple le Royaume-Uni ou les Pays-Bas). De même, la France interdit aux « plateformes », c’est-à-dire aux sites regroupant plusieurs pharmacies, de vendre des médicaments en ligne. Evidemment, la grande distribution n’en a pas non plus le droit.
Pour ouvrir son site Internet, le pharmacien doit obtenir une accréditation de l’Autorité régionale de santé (ARS) et déclarer son site auprès de l’Ordre des pharmaciens. Les ARS se montrent très strictes : en 2013, sur 259 demandes d’ouverture de site, elles ont délivré 80 refus, soit un taux de refus de près d’un tiers. Selon les derniers chiffres disponibles (1er janvier 2015), sur 22.401 officines recensées en France, seules 301 ont développé un site internet de vente en ligne de médicaments, soit un taux de 1,34 %. C’est dix fois moins qu’en Allemagne.
Que propose le gouvernement ?
Pour réglementer la vente en ligne de médicaments, il avait adopté en 2013 un arrêté, que le Conseil d’Etat a rejeté en mars 2015… Obligeant du coup le gouvernement, et plus précisément la ministre de la Santé Marisol Touraine, à revoir sa copie. Ce que le ministère a fait en préparant deux nouveaux arrêtés : le premier porte sur « les bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique » et le second sur « les règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments ».
Ces deux arrêtés confirment un certain nombre d’interdictions en vigueur depuis 2013 – les sites de pharmacies n’ont par exemple par le droit de recourir à des liens hypertextes, ne peuvent pas payer pour être mieux référencés dans les moteurs de recherche ou encore, ne peuvent pas valoriser leurs prix via de la publicité. Mais ils créent également de nouvelles règles. Par exemple, en plus du questionnaire de santé que le patient doit remplir avant toute première commande, le gouvernement veut que le e-pharmacien sollicite auprès du patient de très nombreuses informations, dont certaines couvertes par le secret médical, telles que des résultats d’analyses biologiques, et qu’il rédige à chaque commande une « intervention pharmaceutique », c’est-à-dire une formalisation écrite, motivée et détaillée, de l’analyse pharmaceutique.
Qu’en pense l’Autorité de la concurrence ?
Elle ne voit pas d’un bon œil le projet du gouvernement qui, d’après elle, « retire tout intérêt à la commercialisation de médicaments par internet, tant pour le patient que pour les pharmaciens ». Elle l’affirme ce mardi dans un avis rendu public. Concrètement, elle estime que les textes préparés par le ministère de la Santé comportent bien trop de contraintes et que ces dernières sont « disproportionnées par rapport à l’objectif de protection de la santé publique ». Elle avance également que les « bonnes pratiques » exigées par le gouvernement pour la vente en ligne vont bien au-delà de ce qui est prévu pour la vente au comptoir, alors même que ces « bonnes pratiques semblent beaucoup plus justifiées pour les médicaments soumis à prescription médicale obligatoire qui ne sont vendus qu’au comptoir de l’officine ».
« Pour l’Autorité de la concurrence, la vente en ligne est une opportunité à saisir pour les pharmaciens et une avancée pour les patients, qui peuvent ainsi mieux comparer les prix », résume une source proche du dossier. Reste que si le ministère de la Santé est contraint de solliciter l’opinion de l’Autorité de la concurrence, il n’a pas à la suivre : l’avis est seulement consultatif.
Qu’en disent les pharmaciens ?
Ils sont extrêmement divisés. Alors qu’environ 200 officines ferment chaque année pour raisons économiques, certains pensent qu’Internet pourrait relancer les ventes et ils critiquent donc le projet gouvernemental, jugé trop « contraignant ». C’est le cas de Jean-Luc Fournival, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) : « Il faut savoir vivre avec son temps ! En plus, les patients demandent cette évolution. Pour l’instant, nous souffrons d’un manque évident de liberté par rapport aux pharmaciens des autres pays européens et certains de mes confrères ne se rendent pas compte que sur Internet, il n’existe pas de frontière : si nous n’occupons pas le terrain, demain, les Français achèteront les médicaments vendus par des e-officines anglaises ou allemandes ».
A l’inverse, Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), soutient les restrictions défendues par le ministère de la Santé : « Je ne suis pas contre la vente sur Internet, mais les pharmaciens ne doivent pas pousser les patients à la consommation. Il est par exemple hors de question de les inciter à dépasser un certain panier afin de bénéficier de frais de livraison gratuits… Nous ne vendons pas des petits pois : aucun médicament n’est anodin ! ». Lui estime l’avis de l’Autorité de la concurrence « osé » et pense qu’il se situe davantage « dans le champ de la consommation que dans celui de la santé ». Mais il est d’accord sur un point : si le ministère impose des « bonnes pratiques » sur Internet, il doit également les exiger au comptoir des officines.