Chine: «La dévaluation du yuan est inquiétante pour nos économies»
INTERVIEW•Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi, revient sur les deux dévaluations successives décidées par la Chine...Propos recueillis par Céline Boff
Belote et rebelote. Mardi, Pékin décidait d’abaisser de presque 2 % le cours du yuan face au dollar. Et ce mercredi, la Chine a de nouveau réduit de 1,62 % le taux de référence de sa monnaie. Cette dévaluation qui ne dit pas son nom - la banque centrale chinoise (PBOC) assure qu’il s’agit seulement d’un « ajustement » - fait réagir les bourses de la planète. A 17h, le CAC 40 avait perdu 3,49 %. Faut-il s’inquiéter ? 20 Minutes a posé la question à Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi.
Pourquoi la Chine dévalue-t-elle sa monnaie ?
Parce qu’elle cherche à contrer le ralentissement de sa demande intérieure. Autrement dit, le gouvernement officialise la crise sévère dans laquelle se trouve son pays. Et il donne raison aux économistes qui doutent depuis plusieurs mois de la véracité des chiffres officiels. Comme Patrick Artus, le directeur de la recherche de Natixis, qui pense que la croissance de la Chine n’est pas de +7 % comme le prétend le gouvernement, mais plutôt de +2 %. Le pays est donc en récession.
Mais le yuan n’est-il pas déjà une monnaie sous-évaluée ?
C’était le cas en 2008, ça ne l’est plus. Ces dernières années, les salaires et les prix ont considérablement progressé en Chine. L’inflation a atteint les 6 à 7 % chaque année et a donc absorbé la sous-évaluation du yuan. Aujourd’hui, au vu de la croissance réelle de la Chine et de ses difficultés à exporter, le yuan ne me semble pas sous-évalué.
La Chine, c’est plus l’Amérique
Quel impact cette dévaluation peut-elle avoir sur les économies européenne et française ?
Il sera mineur dans la mesure où une dévaluation de 3 %, c’est très peu – elle serait significative si elle atteignait 10 à 15 %. Cette dévaluation nous permet surtout de comprendre ce qu’il s’est passé ces derniers mois en Europe. Alors que les indicateurs européens étaient plutôt bons, les industriels, notamment allemands, se montraient toujours très attentistes… Parce qu’ils ressentaient déjà le fort ralentissement chinois.
Nous devons donc nous attendre à un recul des exportations européennes vers la Chine ?
Mais elles ralentissent déjà et ce, malgré la baisse de l’euro. Cette baisse peut donner davantage de débouchés aux produits européens à condition que les marchés acheteurs, et notamment les marchés émergents, tiennent le choc. Nous voyons que ce n’est pas le cas. Et nous devons comprendre qu’il ne s’agit pas d’une crise passagère : la Chine est confrontée à une récession profonde qui durera au moins un à deux ans.
Du coup, l’Europe et la France vont-elles importer davantage de produits chinois ?
Avec une dévaluation de seulement 3 %, nous n’allons pas assister à un déferlement de produits chinois en Europe. Rappelons par ailleurs que les exportations chinoises se sont effondrées de plus de 8 % sur un an en juillet.
Faut-il s’inquiéter pour l’économie française ?
Il faut s’inquiéter pour l’économie de toute la planète ! Les Etats-Unis ont été les premiers à dévaluer leur monnaie, puis cela a été au tour du Japon, de l’Europe et maintenant de la Chine. Autrement dit : dès qu’une zone économique va mieux parce qu’elle a dévalué sa monnaie, elle met en difficulté une autre zone économique. Cela signifie que nous ne parvenons toujours pas à relancer une vraie croissance mondiale. Nous la maintenons artificiellement à coup de dévaluations… Toutes nos économies restent donc très fragiles.