Aéroport de Toulouse: «Les investisseurs chinois suscitent des craintes déraisonnables»
INTERVIEW•Eric Delbecque, spécialiste de l'intelligence économique, revient sur la cession d'une partie de Toulouse-Blagnac à des investisseurs chinois...Propos recueillis par Céline Boff
Le sixième aéroport de France passe sous pavillon chinois. Mais en partie seulement: l’Etat n’a cédé au consortium Symbiose que 49,99% de ses participations dans Toulouse-Blagnac. 20 Minutes fait le point avec Eric Delbecque, chef du département Sécurité économique à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et auteur de l’ouvrage Vers une souveraineté industrielle? paru aux éditions Vuibert.
La décision du gouvernement suscite des réactions hostiles. Sont-elles justifiées?
En tout cas, je ne les trouve pas argumentées. Nous parlons d’un investissement chinois donc, par principe, les observateurs hurlent à la mort. Mais la bonne attitude est de regarder les offres. Par rapport à ses trois concurrents, le consortium chinois a présenté l’offre la plus dotée financièrement et la plus intéressante en termes de développement et d’emploi. De plus, le pouvoir public reste majoritaire dans le capital de Toulouse-Blagnac. L’essentiel est que l’Etat conserve ses 10% et Bercy affirme ne pas avoir l’intention de les céder.
Quels sont les risques de cette cession à un investisseur chinois?
Dans ce cas précis, je ne vois pas de risque de transfert technologique. Ensuite, qu’un investisseur étranger prenne des participations dans une société n’est pas un phénomène inquiétant en soi –les capitaux des entreprises du CAC40 sont déjà fortement internationalisés. Le risque survient du cumul de plusieurs critères –déménagement du centre de décision, nationalité du management, etc. Dans le cas présent, il faut être vigilant et s’assurer que les engagements du consortium sont bien respectés.
Pourquoi la Chine fait-elle si peur?
Parce qu’elle est la nouvelle grande puissance mondiale. Elle suscite donc des craintes parfois fondées, parfois déraisonnables. Dans le cas de Toulouse-Blagnac, les questions à se poser sont celle de la réciprocité –«quels investissements la France va-t-elle pouvoir réaliser en Chine?»- et celle des avantages –«quelles seront les conséquences favorables de cet investissement chinois en France?». Je rappelle que les investissements français en Chine sont conséquents: ils représentaient 16,7 milliards d’euros fin 2012. A l’inverse, les investissements chinois en France n’étaient que de 3,5 milliards d’euros.
Pensez-vous qu’un investisseur américain aurait suscité les mêmes réactions de rejet?
Les observateurs disent qu’il est scandaleux de faire entrer un investisseur chinois au capital de Toulouse-Blagnac. Mais hier, les mêmes nous expliquaient que le décret sur le patriotisme économique allait faire peur aux investisseurs étrangers… Alors, oui, l’investisseur américain semble recevoir un accueil plus favorable et c’est une erreur de perspective. Les investisseurs étrangers devraient tous être traités avec la même bienveillance a priori et la même vigilance à tout moment.
Le gouvernement n’est-il pas en train de reproduire l’erreur commise par la droite en 2006, lorsqu’elle avait privatisé les autoroutes pour réduire le déficit, privilégiant ainsi les petits gains à court terme plutôt que les grands profits à moyen terme?
Bien sûr, il faut privilégier nos intérêts sur le long terme. Mais l’Etat est confronté à une situation budgétaire exécrable. Il doit dégager des économies et il est difficile pour le gouvernement de les trouver sans susciter des blocages. Dans ce contexte de fragilité économique, nous devons nous demander quel doit être le rôle de l’Etat et de quoi il peut encore être ou non actionnaire. Je n’ai pas de position de principe sur ces sujets, je dis seulement que nous devons nous poser la question.