Fraude: Comment employeurs et employés innovent pour tromper l’Etat
ENTREPRISE•La Cour des comptes pointe deux nouveaux types de fraudes dans son rapport…Nicolas Beunaiche
Au petit jeu de «cash-cash», les fraudeurs auront décidément toujours une longueur d’avance sur l’Etat. Dans son rapport publié ce mercredi, la Cour des comptes estime ainsi que le montant des fraudes aux cotisations sociales aurait doublé entre 2007 et 2012, pour s’établir à 20-25 milliards d’euros. Mais surtout, le gendarme des comptes publics indique que de nouvelles formes de fraudes se sont développées ces dernières années, mettant en difficulté les services de l’Etat.
Le boom des travailleurs détachés
Selon la Cour des comptes, le principe du détachement de travailleurs à l’étranger aurait notamment été dévoyé par les entreprises recourant à des sous-traitants de pays membres de l'Union européenne détachant des salariés en France. Sur le papier, ce statut est censé s’appliquer aux «travailleurs envoyés provisoirement par leur employeur» pour la réalisation d'une prestation de service sur le sol français, rappelle Jean-Marie Guerra, directeur du recouvrement et du contrôle à l’Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale). Dans ces cas-là, s’appliquent le droit du pays d’accueil et celui de la sécurité sociale du pays d’origine. Or, écrit la Cour des comptes, «il peut donc exister la tentation de présenter certains salariés comme des travailleurs détachés, pour payer des cotisations dans le pays d’origine à des taux bien moins élevés qu’en France». Dans l’Hexagone, le nombre de travailleurs détachés serait ainsi passé de 7.500 à 170.000 entre 2000 et 2012.
Autre type de fraude en pleine explosion: celle liée au statut de travailleur indépendant. Cette pratique, qui «consiste pour un employeur à dissimuler l’emploi de salariés sous l’apparence d’une relation commerciale, aux fins d’échapper à certaines dispositions du droit du travail et de la sécurité sociale», aurait été facilitée par la création du statut d’auto-entrepreneur, assure la Cour des comptes. Le bénéfice est multiple, puisque ce type de fraude permet de verser des rémunérations moins élevées ou de se voir appliquer des taux de cotisation plus faibles.
Un taux de recouvrement dérisoire
Si «ces pratiques ne sont pas si nouvelles» que cela, nuance Jean-Marie Guerra, elles ont clairement «pris de l’ampleur», reconnaît-il. Et parce qu’elles impliquent différents Etats dont les niveaux de protection sociale sont très inégaux et qu’elles jouent avec les divers statuts juridiques, elles compliquent aussi sérieusement la tâche des agents chargés du contrôle des cotisations.
«Ce qui est complexe dans le cas des travailleurs détachés en particulier, c’est de défaire les montages et de lutter contre les situations de détournement du dispositif», explique Jean-Marie Guerra. Car «cette fraude peut prendre un caractère organisé et une ampleur qui nécessitent l’emploi des moyens de la police judiciaire», complète le rapport de la Cour des comptes. La lutte contre ce type de fraude suppose, en outre, de mener des vérifications dans un autre Etat dans un délai limité par la brièveté même des détachements. «Or seul l’État d’origine a le droit de retirer les certificats attestant faussement le rattachement du salarié détaché à son régime de sécurité sociale, alors que c’est le pays d’accueil qui mène les investigations», conclut la Cour des comptes.
Impossible cependant de chiffrer le coût de ces nouvelles formes de fraudes. Ni la Cour des comptes ni l’Acoss n’en ont le détail. Mais il est à parier que l’élucidation des affaires liées aux travailleurs détachés ou indépendants n’a pas tiré vers le haut le taux de recouvrement global, estimé à environ 1,5% de la fraude liée au travail dissimulé, hors retraites complémentaires et chômage.