«L'Allemagne se projette dans le monde bien plus que nous ne le faisons»
INTERVIEW•Rencontre avec le journaliste François Roche, auteur du livre «Un voyage en Allemagne»...Propos recueillis par Céline Boff
En Allemagne, le Conseil des ministres vient d’adopter le projet de création d’un salaire minimum. Si la loi doit encore être approuvée par le parlement, elle devrait entrer en vigueur dès janvier 2015, avec un déploiement progressif jusqu’en 2017.
Que faut-il attendre de cette évolution? 20 Minutes fait le point avec le journaliste François Roche, auteur de l’ouvrage Un voyage en Allemagne, publié aux éditions Le Passeur et dont la sortie en librairie est prévu ce jeudi 3 avril.
L’instauration d’un salaire minimum à 8,50 euros de l’heure (9,53 euros en France) peut-elle vraiment changer la donne en Allemagne?
Oui. L’une des faiblesses du modèle social allemand est en passe d’être corrigée car si plusieurs branches, notamment dans l’industrie, disposent déjà d’un salaire minimum, ce n’est pas le cas dans les services.
Ceci dit, nous savons bien que le diable se cache dans les détails. Il faut donc attendre de voir la manière dont ce salaire minimum sera concrètement appliqué.
Cette mesure peut-elle être bénéfique pour les partenaires européens de l’Allemagne, à commencer par la France?
Ce salaire minimum va redonner un peu de pouvoir d’achat à des salariés qui en ont très peu et qui ne sont donc pas des acheteurs privilégiés des produits français… Je pense que cette évolution sera donc relativement neutre pour nos entreprises.
Ceci dit, en acceptant de créer ce salaire minimum, l’Allemagne prouve à ses partenaires, qui lui demandent depuis longtemps de relancer sa consommation intérieure, qu’elle sait écouter et entendre. Même si elle le fait dans une mesure plutôt faible.
Ce salaire minimum peut-il dégrader la compétitivité de l’Allemagne comme le clame le patronat outre-Rhin?
Je ne crois pas à un choc négatif. Cette mesure va être mise en place progressivement et les capacités d’adaptation de l’Allemagne me semblent suffisantes pour éviter un drame économique et social.
Si un certain nombre de services seront peut-être moins rentables, la plupart des secteurs industriels offrent déjà des salaires supérieurs à 8,50 euros de l’heure. Le salaire minimum n’aura donc pas d’impact sur la compétitivité des entreprises allemandes et sur l’économie de ce pays.
Pour le journaliste Guillaume Duval, également auteur d’un ouvrage sur l’Allemagne, Gerhard Schröder n’a pas sorti le pays de la crise, mais a au contraire creusé les inégalités. Qu’en pensez-vous?
Les réformes Schröder ont été pensées pour relancer la croissance et les exportations de l’Allemagne et de ce point de vue, elles ont été un succès.
Cependant, il est vrai que ces mesures –qui ont été validées par les syndicats- ont mis à mal une partie du système social allemand. D’ailleurs, si l’Allemagne accepte aujourd’hui de créer un salaire minimum, c’est aussi pour corriger les déséquilibres créés par ces réformes.
La France traverse une crise similaire à celle rencontrée par l’Allemagne dans les années 2000. Faut-il donc s’inspirer des méthodes Schröder pour en sortir?
Pour relancer la croissance, l’Allemagne a choisi de redresser sa compétitivité et pour y parvenir, elle a ébranlé son système social. François Hollande veut, lui, améliorer la compétitivité des entreprises tout en garantissant la justice sociale. Il donne la même importance à ces deux aspects… C’est un pari ambitieux mais nul ne peut présager de l’avenir.
S’il est toujours difficile de comparer deux systèmes différents. Je note toutefois que le taux de chômage en Allemagne est deux fois moins élevé qu’en France, que la situation économique y est un peu meilleure et que les comptes publics y sont bien plus solides. Ce sont des faits.
Pour rédiger votre ouvrage, vous avez passé beaucoup de temps en Allemagne. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris?
D’abord, la façon dont l’Allemagne se concentre sur les nouvelles technologies. Elle porte un effort considérable aux universités technologiques, aux entreprises et aux instituts de recherche, car elle a la volonté farouche d’être à la pointe des industries techniques, notamment en matière d’usine du futur et de robotique.
J’ai également été frappé par l’ouverture internationale de l’Allemagne, qui se projette dans le monde d’aujourd’hui bien plus que nous ne le faisons. Mais j’ai aussi découvert l’inquiétude profonde de ce pays quant à son avenir. L’Allemagne, qui a une faible natalité, se demande vraiment comment elle peut intégrer davantage d’étrangers tout en préservant sur le long terme la pérennité de son modèle.