Dailymotion: Montebourg relance le débat sur le protectionnisme économique
INTERNET•Après la polémique Titan, le ministre s’oppose cette fois à la vente à 100% du site Internet à l’Américain Yahoo!...Mathieu Bruckmüller
Avec la polémique sur la décision d’Arnaud Montebourg de bloquer la vente de Dailymotion à l’Américain Yahoo!, ressurgit la lancinante question sur les bienfaits ou non du protectionnisme économique.
Petit rappel des faits: France Télécom, détenu à 27% par l’Etat, détient depuis le début de l’année 100% du capital du site français de partage de vidéos. Valorisée à près de 300 millions d’euros, la pépite a besoin de 50 millions d’euros pour accélérer son développement international.
Des synergies limitées avec France Télécom
Or les synergies avec l’ancien opérateur historique sont limitées, d’où l’idée de la céder. Yahoo!, qui cherche à se relancer depuis l’arrivée de sa nouvelle patronne, Marissa Mayer, était décidé à signer le chèque pour emporter la mise. Refus ferme d’Arnaud Montebourg, qui veut un partenariat équilibré avec une cession de Dailymotion limitée à 50%. Pas question de voir partir «l’une des meilleures start-up de France», selon le ministre.
Une décision qui a suscité une certaine cacophonie au sein de l’exécutif. Le ministre français de l'Economie, Pierre Moscovici, a déclaré ce jeudi ne pas avoir été «particulièrement impliqué» dans le dossier de l'éventuelle reprise de Dailymotion par Yahoo!, alors que son homologue du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a affirmé qu'il était partie prenante. Ce dernier a sifflé la fin de la récréation jeudi soir sur France 2, estimant que sa décision est une décision du gouvernement.
Mais au-delà, le candidat à la tête du Medef et patron de la société de paiement Aqoba, Thibaut Lanxade, estime que l’Etat n’a pas à s’ingérer dans la gestion des entreprises privées et qu’au-delà, cela risque d’envoyer un mauvais signal auprès des investisseurs, qui vont réfléchir à deux fois avant de vouloir rependre des entreprises françaises.
Nouvelle dégradation de l’image de la France?
Après l'affaire Titan, ce nouvel épisode ne va pas forcément améliorer l'image de la France à l’étranger. Malgré tout, Arnaud Montebourg a réaffirmé «son objectif d’attirer davantage les investissements étrangers sur le territoire national, en particulier ceux des entreprises américaines, qui sont d’ores et déjà les premiers investisseurs étrangers en France».
Pour l’économiste Elie Cohen, interrogé sur France 2, l’Etat doit se limiter à protéger les secteurs stratégiques comme la défense, la sécurité privée, les jeux d’argent ou encore la sécurité informatique, au risque de marginaliser les entreprises hexagonales qui pourraient, à leur tour, se voir limiter leur possibilité d’acheter des concurrents à l’étranger.
Une argumentation reprise par Jean-François Copé. Pour le président de l'UMP, la France «fait rire les autres pays par notre inconstance». Dailymotion, a analysé l'ancien ministre du budget, «doit se développer à l'étranger. Il ne peut pas le faire sans partenaires extérieurs. Yahoo! était un de ces partenaires. Comment aller sur le marché américain si on n'est pas en partenariat avec une grande entreprise américaine?» «La politique industrielle de ce gouvernement est incompréhensible», a accusé le député-maire de Meaux sur Europe 1.
Soutiens de Guaino et Mélenchon
Concrètement, Arnaud Montebourg craignait que dans l’opération, Dailymotion soit «dévoré» par Yahoo!, avec l’inquiétude notamment de voir l’emploi en France délocalisé aux Etats-Unis. Ce dernier a d’ailleurs reçu plusieurs marques de soutien ce vendredi.
Jean-Luc Mélenchon, co-président du Parti de gauche, a déclaré soutenir «évidemment» Arnaud Montebourg dans son refus de «brader» l'entreprise française. «Il y a une dimension qui échappe à beaucoup de décideurs, c'est l'intérêt du pays ou l'intérêt national», a argumenté l'ex-candidat à l'Elysée. «Je ne dis pas ça comme chauvin, mais il s'agit de notre indépendance, de notre capacité à être souverains», a-t-il poursuivi sur BFM TV.
Le député UMP Henri Guaino a soutenu, lui aussi, sur RTL, la «démarche» du ministre. L'élu des Yvelines «ne connaît pas les tenants et aboutissants» de cette affaire et considère qu'il faut «évidemment donner à l'entreprise les moyens de se développer», mais «on n'est pas obligés de tout brader».