Snapchat, Mondrian et pénis... On a tenté de décrypter le clip de Yelle, «Interpassion»
MUSIQUE•La vidéo réalisée par Thibault Maîtrejean et Jean-François Perrier a sans doute bien plus de choses à dire et à montrer qu'elle n'en a l'air...Fabien Randanne
Dans le clip d’Interpassion, son nouveau single, Yelle en short joue du saxo dans un gymnase. Kamoulox ? Pas tout à fait car cette vidéo, réalisée par Thibault Maîtrejean et Jean-François Perrier, a plus de choses à dire et à montrer qu’il n’y paraît. Tentative d’analyse (peut-être à côté de la plaque, mais on essaie), d’un objet filmé interpassionnant.
- Génération Snapchat
L’image est enserrée entre deux bandes noires, le clip défile au format vertical, celui des vidéos tournées au smartphone, et chaque plan n’est pas plus long qu’un snap. A ce parti pris s’ajoute une relecture des codes de la « lyric video », ces clips se contentant de faire apparaître les paroles au rythme de la chanson et en les mettant en scène avec plus ou moins d’inspiration.
Ici, les phrases s’affichent en typo blanche sur fond noir, quitte parfois à recouvrir presque intégralement l’image. On pense à ces vidéos signées par les sites d’info, pensées pour les réseaux sociaux et principalement destinées à être lues sur mobiles, qui résument une actu à grand renfort de sous-titres. Cette esthétique parfaitement dans l’air du temps, est raccord avec le texte de la chanson. « Come te llamas [?] Do you know Mafalda [?] Do you speak Portuguese [?] »… Un pot-pourri de méthode Assimil, absurde, au service du néologisme « Interpassion » que scande Yelle… « Je suis interpassionnée », comme une nouvelle manière de dire « Je suis citoyenne du monde ». Autrement dit, une ode polyglotte et rigolote au cosmopolitisme.
La chanson « a été écrite au retour de la tournée Complètement fou, nous apprend un communiqué. Exprimant tout l’amour ressenti sur la route, partout dans le monde, amour partagé, amour mélangé. La communion en dépit d’un monde au climat aussi pesant & maladroit qu’une boule de bowling. » Un manifeste « géo-Pop-litique », nous dit-on.
- Minimalisme maximal
Yelle l’a dit dans de nombreuses interviews : elle aime le minimalisme. Cela se ressent donc dans sa musique, qui lorgne vers l’efficace simplicité du meilleur de la pop française des années 1980. Pour ce morceau, elle cite comme influence Vous êtes lents d’Alain Souchon et Zoolook de Jean-Michel Jarre. On retrouve son amour du minimalisme dans l’esthétique générale du clip. Même si seul son espace central est en mouvement, les deux bords noirs qui l’encadrent n’en font pas moins partie de la vidéo, qui peut se regarder comme un triptyque. Et, sachant que Yelle apprécie le travail de Pierre Soulages ( elle l’a dit à Glamour), elle n’envisage sans doute pas ces deux marges obscures comme deux espaces vides, dissociables de la vidéo. Par moments, l’image centrale se barre d’un trait noir horizontal composant un split screen et pouvant renvoyer aux compositions à la Mondrian, un artiste prisé par la chanteuse.
Enfin, au début du clip, la caméra s’amuse à balayer le parquet du gymnase – décor unique du film et en lui-même minimaliste – et s’amuse à mener vers l’abstraction les lignes colorées délimitant les différents terrains de sport et qui peuvent rappeler les explosions géométriques des toiles de Kandinsky.
- Le mot le plus long
« J’aime les gens, j’trouve ça bien/Quand on s’fait tous des câlins/Quand on mélange nos voyelles/Qu’on se fait la courte échelle/J’aime moins les consonnes/De ceux qu’on a pas sonnés », chante Yelle. On comprend que son aversion pour les consonnes aux sonorités tranchantes renvoie aux trolls et autres détracteurs de sa musique. Mais faut-il interpréter le mélange de voyelles comme les « ah » admiratifs et les « oooooh » chantonnés lors de ses concerts ? Ou en avoir une lecture un peu plus triviale et salace ? La question reste entière.
En revanche, beaucoup ont remarqué un détail graphique du sweat que porte l’artiste dans le clip, à savoir un mélange de lettres qui est aussi le visuel du single : quatre d’entre elles sont en couleur, le P et le N en rouge, le E, le I et le S en bleu. Pour ceux qui sont nuls au Scrabble, ce sont celles qui sont nécessaires à l’écriture du mot « Pénis ». Ou « Pines ».
aSubliminal. Comme elle le chante, Yelle est « celle qui emmêle les consonnes et les voyelles ».