Robert Crumb: Lumière sur l'underground
CULTURE•Le musée d'art moderne de la Ville de Paris propose une rétrospective de l'oeuvre de Robert Crumb, pape américain de la BD underground...olivier mimran
«C'est bizarre, pour un pionnier de la contre-culture, d'exposer dans un temple de la culture», s'étonne Robert Crumb. C'est pourtant bien au pape américain de la BD underground que le musée d'Art moderne de la Ville de Paris consacre, dès aujourd'hui et jusqu'au 19 août, la première grande rétrospective de son œuvre. Après feu Moebius à la fondation Cartier et Art Spiegelman au Centre Pompidou, c'est donc un nouveau «monstre» de la bande dessinée qui contribue à légitimer le 9e art avec une exposition qui « fait évoluer le regard porté par les musées sur la création artistique », selon Fabrice Hergott, le directeur du musée d'Art moderne.
L'artiste subversif s'est assagi
Rien ne prédestinait pourtant Crumb à une telle consécration : venu à la BD parce que seul le dessin « offrait un sens » à sa vie, il fut longtemps considéré comme un artiste subversif : largement mis en avant par l'exposition, ses premiers récits, qui remontent aux années 1960, fustigeaient l'Amérique bien-pensante sur fond de sexe, de violence, de consommation de drogue et d'une sacrée dose de nonsense. Chantre du nihilisme, roi de la provocation, ce natif de Philadelphie (qui vit dans un village du Gard depuis plus de vingt ans) connut pourtant sa première vraie reconnaissance… en France, où il fut nommé grand prix du festival d'Angoulême en 1999. Depuis, l'auteur iconoclaste – qui fêtera ses 70 ans l'an prochain – s'est passablement assagi. Au point de signer, en 2009, une œuvre monumentale qui, de son propre aveu, «a déçu beaucoup de fans de la première heure»: La Genèse (Denoël Graphic), une adaptation illustrée et très policée du premier livre de la Bible, dont l'intégralité des planches est présentée dans cette rétrospective.
Une exposition justifiée
Très exhaustive, l'exposition présente donc, en plus de 700 dessins et planches, les deux «âges» de Crumb : celui, rebelle et impertinent, des décennies 1960-1970, à partir duquel s'est bâtie sa légende ; et celui, plus tempéré, des années 2000. De l'obsédé Fritz the Cat au psychédélique Mister Natural, de ses héroïnes callipyges à ses chastes représentations d'Adam et Eve, Crumb se dévoile dans toutes ses ambivalences. Mais surtout dans tout son talent car, comme le rappelle Sébastien Gokalp, le commissaire de la rétrospective: «Crumb est avant tout un immense artiste, qui mérite largement sa place dans un musée.»