Les Lego voient la vie en rose
•Briques à la vanilleStéphane Leblanc
Des briquettes de couleur violette, des mini-poupées dont les accessoires s'emboîtent pour illustrer l'univers de cinq « amies pour la vie ». Lego, spécialiste des jeux de construction depuis 1932, a lancé ce mercredi une nouvelle gamme 100 % girly. « Lego n'en est pas à sa première tentative, rappelle Dorothée Charles. La conservatrice du département des jouets au musée des Arts décoratifs et commissaire de l'exposition « Des jouets et des hommes » au Grand Palais, se souvient avoir « joué avec des Lego pour filles, enfant, dans les années 1970 ».
« A cette époque, je n'étais pas née, rigole Mélodie Hérent, jeune chef de produit chez Lego, qui garde plutôt en mémoire ses quatre dernières années passées à écouter des fillettes et leurs mamans pour lancer une collection qui tienne la route – la précédente, en 2004, avait fait un flop. « Les petites filles aussi veulent construire », assure-t-elle.
Doux pour les filles,
rugueux pour les garçons
N'est-ce pas paradoxal de parler de jouets pour garçons et pour filles à une époque qui tend à abolir les différences de genre ?
« Au contraire, explique
Dorothée Charles, le jouet a toujours servi aux enfants
à s'affirmer dans leur sexualité ».
Les garçons
sont encore rares à vouloir se déguiser en princesses et les filles en super héros. Les codes aussi restent forts. La couleur, pour une fille, c'est le rose. Dorothée Charles souligne qu'il n'en a pas toujours été ainsi. « Jusqu'aux années 1950, le rose était plutôt l'apanage des garçons, tandis que les poupées s'habillaient en bleu. »
La conservatrice du musée des Arts déco évoque aussi des « glissements », des jouets pour garçons qui deviennent des jouets pour filles et vice versa. Ainsi, le cheval, longtemps véhicule de soldats ou animal de labeur, « est devenu, dans les années 1980, un animal ailé dont la crinière multicolore est appelée à être coiffée. »
Un jouet pour filles.
A l'inverse, les GI Joe, en 1964, ont prouvé que les petits gars pouvaient aussi avoir envie de jouer à la poupée. « Un cas exceptionnel. Les frontières n'ont jamais été abolies, même si les filles sont plus spontanément attirées par l'univers des garçons que l'inverse. » Les fabricants le savent, qui se sont toujours davantage impliqués dans la création pour ces derniers.
Prenons les Bakugan. Leur succès auprès des garçons et leur pouvoir d'attraction sur les filles a incité leur fabricant, Spin master, à décliner cette bille en plastique qui se déploie par un système d'aimant dans un univers pour les filles. Et de métamorphoser ces monstres rugueux en Zoobles, adorables créatures
à mi-chemin entre Petshop et Gremlins. « Les passerelles sont rares entre un succès pour filles et pour garçons, concède le représentant en France de la marque canadienne, Guillaume Mamez. Le principe de jeu peut être le même, l'univers sera toujours différent. » Les garçons n'abordent pas les Lego comme les filles. « Ils sont dans l'architecture et le défi de construire les plus hautes tours, alors que les filles envisagent davantage la construction comme un art créatif, avec des univers pleins de détails à décorer », assure Mélodie Hérent.
uillaume Mamez est aussi convaincu que « les garçons ont besoin d'action, quand les filles sont plus dans la
collection ».
« Clichés ! », s'exclame Franck Mathais. Pour le porte-parole de la Grande Récré, ces différences tiennent surtout à des considérations marketing : « Une marque est plus forte quand elle couvre à la fois les envies des garçons et des filles. »
Car même si la concurrence que se livre les fabricants pour occuper le terrain accentue la segmentarisation, de nouveaux jouets mixtes apparaissent malgré tout. L'aspirateur Tim&Lou a vu ses ventes bondir de 40 % en un an. « Quand ils jouent, les enfants sont dans l'imitation, explique Franck Mathais. S'ils voient leur papas passer l'aspirateur, les petits garçons ont spontanément envie de s'en servir à leur tour. » Chacun sait ce qu'il lui reste à faire.