Lewis Trondheim : "La célébrité est une chose néfaste"
Il déteste les interviews. Et pourtant, en exclusivité pour les lecteurs de 20 Minutes, le créateur de Lapinot nous alivré par e-mail ses premières impressions d'après-Angoulême et offert une page inédite de son carnet autobiographique. Ardent défenseur de la "BD d'auteur tous publics", adepte du franc-parler, Lewis Trondheim en profite pour dire ses vérités sur le monde de la BD, sans toutefois se départir de son humour. Trop sérieux s'abstenir...20minutes.fr
Comment vivez-vous l’hommage qui vous a été rendu à Angoulême?
Mieux. Je suis de retour chez moi et je peux me remettre à mon vrai métier, qui est la bande dessinée, pas la communication. Je suis archinul pour parler en public et c’est une chance que je puisse gagner ma vie en restant les fesses vissées devant ma table à dessin. La célébrité est une chose tout à fait néfaste.
Selon vous, le jury a-t-il cherché à récompenser l’auteur grand public (Dargaud ou Delcourt) ou l’expérimentateur (L’Association)?
Je pense qu’il a pris en compte à la fois mon travail, le fait que je fasse partie des fondateurs de l’Association, maison qui a redynamisé la bande dessinée dite d’auteur, mais surtout le fait que je serai celui qui va montrer que la BD est un chouette médium pour raconter plein de choses avec plein de tonalités différentes. Et accessoirement celui qui va virer le sponsor Leclerc du festival.
Comment imaginez-vous votre future présidence? Avez-vous déjà en tête certaines orientations, des projets qui vous tiennent à cœur?
Bien entendu! Depuis que j’ai publié mon premier fanzine il y a vingt ans, j’ai listé tout ce que je voulais faire le jour où je serai président. Je crois que j’ai commencé ma liste par : du sexe facile pour tous les auteurs.
Le grand prix remet-il en question votre décision de suspendre votre carrière?
Pas du tout. J’arrête définitivement la BD. Et je vais vendre des morceaux de mon corps sur eBay.
A 41 ans, votre œuvre est impressionnante. Comment expliquez-vous cette productivité?
Si je ne faisais pas de BD, je ne gagnerais pas d’argent et j’aurais faim. Ce serait embêtant et je mourrais.
Avez-vous conscience de l’impact qu’a eu votre œuvre sur la BD francophone ces quinze dernières années?
Elle n’en a eu aucun, et je m’en félicite tous les matins en n’étant pas sollicité, remercié, interviewé, pourchassé par des paparazzi, etc.
La rumeur veut que vous et Frantico [un BD-blogueur culte que personne n’a jamais vu] ne fassiez qu’un. Qu’en est-il?
J’adorerais avoir fait son livre car je suis d’accord avec l’auteur en ce qu’il faudrait que la masturbation ne soit plus un tabou. Cela éviterait toutes ces excitations machistes, ces guerres…
Lequel de vos albums conseilleriez-vous à quelqu’un qui ne vous a jamais lu?
Le Blog de Frantico*.
Vous vivez en province, on vous dit réservé… Craignez-vous la surexposition médiatique à venir?
Pas du tout. Les journalistes savent que je ne les aime pas. Surtout Yves-Marie Labé du Monde. Il y en a quelques autres aussi. J’aimerais bien nettoyer l’univers de la bande dessinée des pseudo-journalistes qui n’y connaissent rien. Je crois que le temps des consensus mous est fini, pour la BD et pour le reste. Il faut nommer nos ennemis, aussi puissants soient-ils. Par exemple Le Monde, c’est caca. Ce groupe a racheté Télérama pour en tirer le plus d’argent possible. Usuellement, ça ne se dit jamais, sinon on perd des articles et des ventes hypothétiques. Je me permets donc de chier dans la bouche de qui il me plaira afin d’être enfin un maillon qui permettra d’échapper à cette période sombre du pré-sarkozysme annoncée, du politiquement correct UMPien. C’est la somme des individus de bonne volonté qui fait changer le monde à long terme, pas les mini-Napoléon à vision étroite. Merde! J’espère que je n’en suis pas un!
Quels sont vos projets immédiats?
Prendre des gardes du corps.
Recueilli par Olivier Mimran
Publié dans l'édition du 2 février 2006
*Edition Albin Michel. www.zanorg.com/frantico