Preview BD: «Infinity 8», l'art du space opera déjanté selon Trondheim et Vatine
BD•Les éditions Rue de Sèvres et « 20 Minutes » vous présentent les premières pages d’une hallucinante série collaborative…Olivier Mimran
C’est l’un des projets SF les plus excitants - et ambitieux - qu’aient produit des auteurs de bande dessinée francophones depuis la série L’incal de Moebius et Jodorowsky. D’abord parce qu’Infinity 8 réunit une brochette de « stars » du 9e Art (parmi lesquelles Lewis Trondheim, Zep - le créateur de Titeuf -, Olivier Vatine, Boulet, Fabien Vehlmann, Emmanuel Guibert). Ensuite parce que ce space opera humoristique repose sur un audacieux concept de « reboot » qui lui permet de décliner une même situation en une infinité - théorique - d’intrigues…
D’abord publiés sous forme de fascicules façon « comic books », les épisodes de la série sont désormais regroupés en intégrales, dont le 3e volume, «L’Évangile selon Emma », vient de sortir. À cette occasion, 20 Minutes s’est entretenu avec Lewis Trondheim, co-créateur d’Infinity 8. Retrouvez son témoignage à la suite de la Preview ci-dessous. Bonne lecture !
Résumé de l’éditeur : Reboot à bord de l’Infinity 8 ! Détournées de leur mission pour sauver le vaisseau au bord de la destruction, Yoko Keren et Stella Moonkicker ont, malgré tout, rapporté de leur exploration des informations cruciales : Kornaliens nécrophages et aspirants nazis sont désormais neutralisés ; le champ est libre pour activer une nouvelle trame temporelle et un nouvel agent. Ce sera le Marshall Emma O’Mara : pacifiste, pieuse, respectueuse de la hiérarchie et des traditions, cette véritable légende des forces de l’ordre puise sa détermination et sa redoutable efficacité dans sa foi. Mais les convictions les plus sincères sont parfois les plus dangereuses…
SF conceptuelle et « filles à gros seins »
Deux grandes figures de la BD franco-belge sont l’origine du projet Infinity 8 : le prolifique Lewis Trondheim, cofondateur de la maison d’édition L’Association, Grand prix du festival d’Angoulême 2006, et Olivier Vatine, créateur de la célébrissime série SF Aquablue et qui a réalisé, outre-Atlantique, des albums de la franchise Star Wars. Si les compères ont des trajectoires professionnelles bien différentes, ils se sont néanmoins tout de suite entendus. Lewis Trondheim en témoigne avec l’humour qui le caractérise : « Olivier m’a contacté parce qu’il avait envie de faire une série de SF conceptuelle, avec des filles à gros seins et un esprit sixties. Et il m’a demandé si j’avais une idée. En fait, j’avais surtout l’idée de ne jamais faire de série avec des filles à gros seins. Mais comme j’adore la SF, j’ai eu rapidement l’idée d’une série sur 8 albums. Et j’ai fait de mon mieux pour éviter qu’on y voit trop de tétons et de fesses. »
La plaisanterie n’en est qu’à moitié une car la série s’inspire effectivement des pulps, ces revues américaines bon marché des années 1950-1960 qui compilaient des récits - sans prétention littéraire - mixant polar, horreur et érotisme bon enfant. « J’en ai lu une quantité astronomique, ainsi que des romans et nouvelles de SF made in USA, entre 15 et 20 ans », précise Trondheim, qui en a aujourd’hui 52. On y croise donc autant de belles pépées (chacun des tomes a pour héroïne une fliquette de l’espace à la plastique hyperavantageuse) que d’extraterrestres polymorphes, mais aussi des nazis du futur (vénérant la tête congelée d’Hitler) et un rabbin venu d’une autre planète ! Tout ça est évidemment à prendre à ce 42e degré dont Trondheim s’est fait une spécialité.
Au commencement était le « reboot »
Ne nous racontons pas d’histoires : en dehors de son fond franchement déjanté et de sa beauté formelle (les dessinateurs, à commencer par Vatine - qui assure la direction artistique de la série - ou Olivier Balez, dans ce 3e tome, s’en sont donné à cœur joie), Infinity 8 épate surtout pour son concept inédit, dont Trondheim reconnaît qu’il lui a été inspiré par le film Un jour sans fin. La clé, c’est le reboot. « À partir d’une situation donnée - la découverte imprévue d’une nécropole spatiale - se développent huit intrigues différentes ». Ok, mais est-ce vraiment crédible ? Oui, car le vaisseau spatial Infinity 8 recèle une technologie permettant, sous certaines conditions et avec certaines limites, de « rembobiner » le temps quand une mission n’aboutit pas au résultat escompté…
« Mon projet le plus ambitieux »
Ce postulat autorise, en théorie, une infinité de déclinaisons. Mais Trondheim, pragmatique, les a réduites à huit. « C’est la première fois que je me lance dans une série dont je sais à l’avance qu’elle comptera 8 volumes. Et ce n’est déjà pas facile à gérer. D’autant que je laisse vraiment « de la place » à mes coauteurs, qu’ils soient scénaristes (Zep, Vehlmann etc.) ou dessinateurs (Vatine, Bertail, Balez, Boulet, etc.). C’est eux qui choisissent ce qu’ils veulent faire. C’est donc le projet le plus ambitieux sur lequel j’ai eu à travailler », avoue l’auteur qui a écrit ou coécrit 36 volumes de la série Donjon.
Les atouts de la collaboration
« Captivante », « coquine », « rigolote », « maline », « créative »… la série Infinity 8 se verrait-elle accoler autant de qualités si elle n’avait été réalisée, comme 99 % des titres de bande dessinée, que par un ou deux auteurs ? Pas sûr, selon Lewis Trondheim, pour qui la réalisation à X mains « n’apporte pas de gain de temps dans la mesure où chacun doit s’adapter à l’autre, à ses envies, à ses besoins… Mais comme personne ne travaille de la même façon, on s’enrichit beaucoup des qualités des autres. Et c’est un des points qui m’intéressait le plus : comment des « collègues » créent-ils leurs histoires ? Et puis tout auteur de BD étant un peu bizarre - sinon, on n’exercerait pas ce métier (rires) -, chacun apporte des idées ou des solutions que je n’aurais jamais eues ». Et bien s’il a été enrichissant pour ses acteurs, le projet Infinity 8 l’est aussi pour ses lecteurs, qui ont la chance de découvrir l’un des titres les plus novateurs de ce début de siècle.
Infinity 8 tome 3 : « L’Évangile selon Emma », de Lewis Trondheim, Fabien Vehlmann & Olivier Balez - éditions Rue de Sèvres, 17 euros