SERIESPourquoi il n'y a presque pas de séries japonaises en France

VIDEO. Pourquoi il n'y a presque pas de séries japonaises en France

SERIESEntre les télés françaises et les séries nipponnes, c'est un double brouillage culturel et juridique...
Mathias Cena

Mathias Cena

Hibana : Spark, la nouvelle série japonaise de Netflix, est presque un ovni chez nous. En France, les films (d’auteur) japonais parviennent sans difficultés dans les salles, les mangas (d’auteur et grand public) se sont fait une large place dans les rayons de nos librairies, et la J-musique rencontre son public hexagonal par l’intermédiaire des salles de concert et de chaînes de télé et radio dédiées. En revanche, les séries télé, aussi appelées « dramas », se déplacent en France avec la discrétion proverbiale du ninja, ce qui oblige les fans à se tourner vers internet.

« Autant le dessin animé japonais est très bien accueilli et il y a un gros marché, autant la série "live" est plus difficile d’accès pour le grand public », constate Jean-Marc Dupire, directeur des programmes de la chaîne J-One, dédiée aux anime et à la culture japonaise. « On s’efforce de choisir des séries pas trop "marquées" culturellement car si elles sont trop ancrées dans la réalité japonaise, les gens ne vont pas s’identifier, précise Aurore Davoine-Graziani, responsable programmation et contenus de la chaîne, qui a diffusé deux dramas japonais à ce jour. C’est le même problème qu’avec les télénovélas, dans des considérations sociales qui n’ont rien à voir avec la France ».

a

Bande-annonce de la série Naoki Hanzawa (2013), qui a battu des records d’audience lors de sa diffusion sur la chaîne nipponne TBS et reçu plusieurs récompenses au Japon

Au-delà de la trame, le tempo même du récit a de quoi déconcerter le public occidental, selon André de Semlyen, fondateur de la chaîne GONG, qui diffuse notamment des fictions asiatiques. « On sait que dans les histoires produites en Asie le rythme est plus lent, y compris dans l’animation, note-t-il. Cela explique qu’aux Etats-Unis par exemple, il y a des remontages dans Dragon Ball, pour améliorer le rythme. »

« Quand vous commencez à discuter ils vous disent "Non, on n’a pas les droits" »

Les différences culturelles se font aussi sentir jusque dans le jeu des acteurs, notoirement plus « démonstratif » dans les dramas japonais. Cela « peut être un frein », admet Aurore Davoine-Graziani, qui pense toutefois que les goûts du public évoluent : « On est à une époque où tout le monde a accès à internet. La mondialisation culturelle était en faveur des Américains, c’est en train de changer », pense-t-elle.

Mais le frein à l’importation des séries n’est pas uniquement culturel : franchir les obstacles juridiques peut s’avérer très compliqué, raconte André de Semlyen, qui ne diffuse du coup que des dramas coréens : « Dans la télévision, le b.a.-ba, c’est de fabriquer le programme et de le commercialiser à l’étranger », mais « chez les Japonais, la gestion des droits ne fonctionne pas correctement. Je vais voir depuis dix ans [les chaînes nipponnes] Fuji TV, TV Tokyo ou d’autres sur les marchés internationaux des programmes comme au MIP. Ils posent des flyers, des affiches des séries, mais quand vous commencez à discuter ils vous disent "Non, on n’a pas les droits" ».

a

Le « drama » historique Sanada Maru, en cours de diffusion sur la chaîne publique NHK

En cause selon lui, les contrats des acteurs des séries, qui ne prévoient pas la commercialisation à l’étranger, « ce qui semble surréaliste ». « Quelque chose qui marche chez eux au niveau de l’animation ne fonctionne pas au niveau de la fiction, ce qui est un truc de dingue », peste-t-il. Une situation qui évolue lentement d’après Aurore Davoine-Graziani : « C’est plus compliqué, reconnait-elle, mais certaines agences [qui représentent les acteurs japonais] commencent à comprendre qu’il y a un vrai marché à l’international et que ça présente un réel intérêt. » Reste à savoir si le public français se laissera séduire.