«Le Bureau des légendes»: Une saison 2 captivante, encore plus proche de l'actualité
SERIES•« Le Bureau des Légendes » revient ce lundi 9 mai à 21h sur Canal+ pour une intense et attachante saison 2, au plus près de l’actualité. «20 Minutes» a rencontré l’équipe à la Cité du Cinéma…Annabelle Laurent
Ce n’était pas une promesse en l’air. Le bureau des légendes est bien de retour, douze mois pile après la première saison, conformément au rythme que s’était imposé l’équipe : produire dix épisodes par an avec une efficacité à l’américaine, en condensant tout, de la salle d’écriture jusqu’à la postproduction, à la Cité du Cinéma, à Saint-Denis.
C’est là, dans cette ancienne centrale électrique réhabilitée en studio géant par Luc Besson, que nous rencontrons l’équipe début avril. Eric Rochant, le showrunner, revient tout juste de mixage, à quelques pièces du décor où nous nous trouvons. Autour de nous, les ordinateurs éteints des veilleurs, ces agents de la DGSE chargés de suivre les actions sur le terrain des « clandestins » qui, comme Malotru (Mathieu Kassovitz) dans la saison 1, y construisent leur « légende », ou leur couverture.
Loyauté, exigence, discrétion...
Dominée par le thème si riche de la loyauté, comme le formule Jean-Pierre Darroussin (excellent dans le rôle d’un Henri Duflot en proie à la paranoïa), cette saison 2 revient autour de deux axes majeurs: [Ne lisez le texte en italiques que si vous avez bien vu la saison 1]: le statut d’agent double de Malotru qui collabore avec la CIA en échange de son action pour libérer Nadia El Mansour (Zineb Triki) tenue captive par les Syriens. Et l’immersion de Marina Loiseau (Sara Giraudeau, parfaite) comme clandestin à Téhéran. D'autres arcs narratifs vont ensuite s'y ajouter habilement.
Outre son intelligence et la finesse avec laquelle elle traite à nouveau du fameux « facteur humain », pièce maîtresse et si fragile des services secrets, la série impressionne dans cette saison 2 par les liens extrêmement étroits qu’elle tisse avec l’actualité. L’Etat islamique et la radicalisation sont au cœur de l’intrigue. Le nucléaire iranien également. Comment les scénaristes et les acteurs, très attachés à l’envie que le résultat soit plausible, s’emparent-ils d’une matière si brûlante ?
« On ne court pas après l’actualité »
« Nous lisons beaucoup la presse », commence simplement Eric Rochant, qui dirige avec Camille de Castelnau l’équipe de scénaristes. « Nous lisons les journaux et tous les dossiers spécialisés sur les sujets que l’on traite ». En avril 2015, au moment de la diffusion de la saison 1, l’écriture de la saison 2 était en cours. A la même époque, les Anglais découvraient avec effroi la participation active d’un de leurs compatriotes à des décapitations de Daesh. Au début de cette saison 2, une nouvelle recrue (Pauline Etienne) reçoit une vidéo de décapitation et la nationalité du bourreau ne tarde pas à lui être révélée : française… Baptisé «Chevalier», le bourreau va ensuite donner du fil à retordre à la salle de crise du boulevard Mortier. «On a effectivement imaginé que ça se passe chez nous en France, commente Eric Rochant. Les djihadistes français, on sait depuis un certain temps qu’il y en a… »
« Beaucoup de films sur la Seconde guerre mondiale ont été réalisés pendant la Seconde guerre mondiale, ajoute le showrunner. Le Dictateur de Chaplin, c’était en 1940 ! On peut faire des films contemporains de leur propre histoire. Mais on ne cherche pas du tout à courir après l’actualité. Notre souci, c’est de rendre crédible les services de renseignements, pour mieux impressionner et mieux émouvoir. On ne cherche pas le spectaculaire, et certainement pas à prédire quoi que ce soit ».
Des scènes troublantes au Maroc
Iran, Irak, Syrie, Libye, Turquie… Pour « mettre d’autant plus en valeur le Bureau en montrant les conséquences de son action sur le terrain », explique Rochant, la saison 2 nous emmène, bien plus que ne l’avait fait la saison 1, au cœur du Moyen-Orient. Difficile de parler des services secrets aujourd’hui sans s’y rendre. « On pourra être amené plus tard à aller davantage vers l’Est, la Russie, l’Asie, mais pour l’instant, c’est là que ça se passe… », glisse le showrunner. Les scènes à l’étranger sont d’ailleurs si dominantes que le ratio de tournage en intérieur et extérieur a été complètement inversé, explique le producteur Alex Berger. Toutes les scènes du Moyen-Orient (soit 65% des scènes) ont été tournées au Maroc, à 50km de Marrakech.
C’est là que l’équipe a connu des moments troublants, que raconte Mathieu Kassovitz sans gravité :
« Je me souviens d’une scène avec trois Marocains qui étaient censés être des tueurs sanguinaires, habillés comme des membres de Daesh avec des fausses barbes, et je dis à l’un : « Essaie d’avoir l’air méchant », et le mec en était incapable ! [Il se marre] Il avait une tête tellement sympa… Et en même temps, c’était assez triste d’être obligé d’être là, confronté à cette réalité-là qui n’est pas la leur, mais qui fait partie de notre actualité à nous, et d’être dans ces endroits magnifiques avec des gens aussi intéressants, et d’avoir à jouer des choses aussi dures et débiles… »
« Putain, on est utile »
Le 13 novembre, le jour des attentats, Zineb Triki (Nadia El Mansour) tournait au Maroc une scène avec des djihadistes. Une « coïncidence assez étrange… », dit-elle sans vouloir épiloguer. Mathieu Kassovitz est plus prolixe. « Toi tu étais en train de jouer des scènes avec des simulacres d’exécution, et nous, le lendemain, on s’est tous retrouvés ici [à Saint-Denis, près du Stade de France], les quartiers étaient bouclés… Mais curieusement moi je me disais, «putain, on est utile». »
Il poursuit : « C’était l’impression de ne pas aller au boulot faire un truc qui n’a rien à voir avec ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. Au contraire, j’ai l’impression d’être pile dedans. Parce qu’on parle de tout ce qui ne se voit pas, ce qui n’est pas aux infos. Quand il y a un attentat, il faut imaginer qu’il y en a certainement dix qui ne sont pas arrivés. Ce travail invisible de la DGSE, c’est ce qu’on essaie de reconstruire. Et je trouve que Rochant et son équipe le font de manière élégante, intelligente, éthique, et nécessaire. »
Si Eric Rochant tient avec Mathieu Kassovitz l’un de ses meilleurs avocats, sincèrement fier de porter (avec talent) le costume de « Malotru », on ne peut pas le contredire : avec cette passionnante saison 2, Le Bureau des Légendes s’est rendu définitivement indispensable dans le paysage sériel français.