WEB«Vos parents vous enverront bientôt des gifs»: On a vu le futur avec le fondateur de Giphy

«Vos parents vous enverront bientôt des gifs»: On a vu le futur avec le fondateur de Giphy

WEB«Nous sommes à l’aube d’une révolution», promet le fondateur du moteur de recherches de gifs désormais intégré à Facebook ou Twitter. «20 Minutes» revient avec lui sur l'explosion de la start-up et le futur des gifs...
Alex Chung, fondateur de Giphy
Alex Chung, fondateur de Giphy - Giphy
Annabelle Laurent

Annabelle Laurent

A la fin de la discussion que nous avons sur Google Hangouts, nous à Paris, lui à New York, Alex Chung, fondateur du « Google du GIF » qu’est Giphy, constate, déçu : « Vous avez l’air encore perplexe. Ma mission était de vous convaincre ! » Il faut dire qu’il met la barre haute. Si l’on ne doute pas du grand avenir qui attend le GIF, au terme de dix jours au cours desquels il a fait son arrivée officielle sur Twitter via un bouton dédié et sur Microsoft Outlook, après Facebook en juin et Tinder il y a quelques semaines (sans parler de son apparition fracassante au JT de TF1), adopter à 100 % la vision d’Alex Chung impliquerait de voir dans ces images animées, certes fabuleuses, de chat au piano ou d’Obama sur un skate, l’un des piliers du futur de l’humanité. À peu de chose près. Explications.

Au départ, une idée que Google n’a pas eu

Alex Chung a 40 ans. Sous le bonnet rouge de hipster qu’il arbore de bon matin (là-bas), un café à la main, il en fait dix de moins. Giphy est sa 12e start-up. Les autres n’avaient pas connu une telle ascension : créée il y a seulement trois ans, Giphy vient tout juste de boucler une levée de fonds de 55 millions de dollars. Et vaudrait désormais 300 millions de dollars.

Une fortune qui récompense deux idées : d’abord, avoir donné la possibilité de chercher par mots-clés («congrats», «happy birthday», «The Office») les dizaines de milliers de gifs dont regorge Internet, et notamment Tumblr et Reddit. Le « Graphics interchange format » a beau avoir été créé par un ingénieur américain en 1987, et être ainsi une antiquité dans la vie d'Internet, aucune base de données n’existait et les méthodes des amoureux et puristes des gifs restaient artisanales. Or « combien de fois cela t’arrive dans ta vie de tomber sur quelque chose que l’on ne peut pas encore trouver grâce à Google ? », interroge Alex Chung. Seconde idée, alimenter la plateforme en produisant des gifs en masse, notamment grâce au « live-GIF» d’événements comme les Grammys ou le Superbowl.

Le GIF de la presque chute de Beyoncé au Superbowl, le 7 février.
Mais Beyoncé est Beyoncé. Elle ne chute pas. Jamais.

Ce qui avait commencé comme une « expérience amusante entre amis » s’est ainsi transformé en un géant dont Alex Chung égrène fièrement les chiffres : « On vient de dépasser 150 millions de visiteurs par mois, et on devrait atteindre les 200 ou 300 millions d’ici la fin de l’année. On vient de dépasser Reddit. Nous sommes beaucoup plus gros que le Washington Post… C’est triste, mais c’est le cas ». Pour l’instant, priorité à la croissance de l’audience sur un site qui reste sans pub, mais « on pourrait être rentable demain, en ajoutant simplement quelques Google AdWords », assure le CEO. Il ajoute: «et quand vous voyez la fortune que récolte Google alors que personne ne clique sur ces liens...»

L’invasion des gifs ne fait à l'évidence que commencer, mais c’est là qu’Alex Chung voit plus loin que nous, et grand, très grand. « Nous sommes à l’aube d’une révolution sur la façon dont nous communiquons et partageons l’information, prophétise-t-il, emphatique. Il faut que l’on voit où ça peut mener. C’est une nécessité pour l’homme de voir ce qu’il en sera ». Première application concrète : « Vos parents vous enverront bientôt des gifs », promet celui dont la mère vient tout juste de passer à l’étape emojis par SMS, mais y viendra vite, il en est sûr.

A lire: Non, les emojis n’appauvrissent pas la langue française

«On fera bientôt des gifs de tout»

Si Alex Chung prévoit une telle invasion des gifs, c’est d’abord qu’il compte bien l’encourager, bien sûr. Après avoir donné la possibilité de créer ses propres gifs grâce à l’outil GIFMaker (tardivement, après les outils équivalents déjà proposés par YouTube et Imgur), le développement intensif des « live-GIF» est au programme. Pour des événements comme les Grammys, « cinq à sept personnes sont mobilisées pour créer des gifs en live grâce à un outil qui nous est propre, et choisir les meilleurs moments, explique-t-il. La levée de fonds va nous permettre de développer cela. On fera bientôt des gifs d’absolument tout ! Que ce soit du sport, du divertissement ou de l’information ».

D’autant qu’aucun domaine n’échappe à Giphy qui a signé dès le départ des licences pour pouvoir tout « gifer », avec les studios de cinéma, les maisons de disque, les networks. De quoi créer des gifs de Star Wars en toute quiétude. Sans compter sur les partenariats signés avec des marques (Subway, NBA...) et des annonceurs bien conscients de l'énorme potentiel des gifs en terme de marketing et de com'.

Images: 1, Mots: 0

Les gifs n’ont pas fini d’envahir le terrain de l’information et de pulluler sur les sites, comme c’est le cas depuis quelques années (20 Minutes compris, bien sûr), bien au-delà des maîtres du genre comme Buzzfeed. Plus aucun média ne rechigne à les intégrer, les community manager en raffolent. Celui de l'AFP en utilise aussi bien pour le Carnaval de Rio que pour la réouverture du Carillon. Parce que le mouvement capte l'attention du lecteur au sein du flux de contenus, parce que le GIF divertit...

Vous y voyez un flirt inquiétant de l’info avec l’entertainment, un appauvrissement du langage, l'étape de trop après l'invasion des emojis, une autre plaie de ce nouveau langage visuel baptisé «pic speech»? C’est l’éternel débat autour de la fin de l’écrit au profit de l’image. Quand il étudiait la philosophie, Alex Chung dit avoir été marqué par The Rise of the image, Fall of the word, un livre dans lequel Mitchell Stephens, professeur à NYU, prédisait un monde des médias envahi par l’image. C'était en 1998 Sept ans plus tard naissait YouTube. Douze ans plus tard, Instagram, dont le cofondateur Kevin Systrom se réjouit aujourd'hui de «participer au passage d’un web fondé sur le texte à un autre basé sur l’image». En 2018, les contenus visuels occuperont 80 % du trafic mobile mondial. Pour Alex Chung, « les mots ne disparaîtront jamais. Ils ont simplement des limites que l’on ne devrait pas s’interdire de contourner.»

Pour lui ça veut dire beaucoup

Quand on vous dit GIF, vous pensez encore aux lolcat?

L'un des meilleurs gifs de 2015 selon un vote organisé par Giphy.

Ou aux gifs de réaction pour exprimer la joie, la colère, la déception ? Si les gifs ont en fait depuis longtemps dépassé ce stade, même si les plus populaires restent les plus «faciles», ils vont poursuivre leur maturation, estime Alex Chung. « Tout langage commence simplement, par l’apprentissage des mots simples, Hello, I, how are you, ça ne va pas bien loin. Les subtilités viennent ensuite. Comme aux débuts de la photo et du cinéma. Au début, on photographiait des choses simples, ce n’était en rien un moyen d’exprimer la condition humaine. Idem pour le cinéma, qui capturait ce qui se passait [l’arrivée d’un train…] avant que cela devienne une forme d’art, et que l’on puisse dire une infinité de choses dans un plan de cinq secondes. »

Il y a incontestablement une forme artistique liée aux gifs, explorée par de nombreux artistes, qu'ils travaillent sur l'animation ou l'ultraréalisme, comme le Français Micaël Reynaud, pour n’en citer qu’un

La pizza idéale pour ceux qui n'arrivent pas à choisir leur garniture. Par Micaël Reynaud.

… mais Alex Chung anticipe surtout l'amélioration de la valeur informative des gifs. Il prend l'exemple de celui d'Hillary Clinton enlevant, par ennui, les poussières de sa veste, pendant son audition devant la commission d’enquête sur l’attaque de Benghazi en Libye, en octobre dernier.

« Well this is just a tremendous GIF. #BenghaziCommittee pic.twitter.com/Bnpi6rcQ43 — Dan Zak (@MrDanZak) 22 Octobre 2015 »


Quatre petites secondes qu’aucune télé n’aurait montrées, mais immortalisées par un GIF pour la symbolique de l’image : une façon d’incarner l’indifférence avec laquelle Clinton avait accueilli les critiques des Républicains lors de cette audition. « Cet instant dit tout de son comportement. Vous pouvez écrire 1.000 mots, ou simplement montrer ce GIF, qui donne l’essence d’une émotion humaine. »

Le GIF avait été tweeté par Clinton elle-même six jours plus tard, lors du débat des primaires républicaines. Le New York Times le rappelait début janvier dans un article qui soulignait combien les gifs pourraient... changer cette présidentielle américaine. Même Alex Chung n'aurait osé en dire autant.