«Soumission» de Michel Houellebecq, un livre dangereux?
LITTERATURE•Michel Houellebecq, qui décrit dans «Soumission» une France islamisée en 2022, revendique son «irresponsabilité» d’écrivain…Annabelle Laurent
Michel Houellebecq écrase déjà cette rentrée littéraire, par l’ombre qu’il jette sur les 548 autres romans à paraître d’ici fin février. Mais une fois dans les mains des lecteurs ce mercredi, c’est pour l’effet qu’il aura sur le terrain des idées que Soumission est redouté.
Dérangeant
Le pitch a été tenu secret, puis révélé à la mi-décembre par Flammarion: une France islamisée, en 2022, après la victoire de la «Fraternité musulmane», un parti qui s’allie au PS et l’UMP face au FN, avec Bayrou en Premier ministre. On découvre ce tableau à travers les yeux de François, un universitaire asocial, encore plus dépressif que les précédentes figures houellebecquiennes, et spécialiste de l’écrivain Huysmans, son seul allié, surtout après le départ en Israël de l’étudiante avec laquelle il couche. Houellebecq ne s’interdit aucun raccourci: les femmes se couvrent les jambes, le chômage est effacé par leur retrait du marché du travail, les universités sont rebaptisées «islamiques».
François assiste passif à la transformation, en tâchant de régler sa quête personnelle de la foi: catholicisme sur les traces de son romancier fétiche, ou islam, pour réintégrer la Sorbonne qui impose désormais la conversion à ses professeurs?
Ce sera, à l’issue du livre, l’islam pour deux raisons: la polygamie et le triplement de son salaire. Voilà donc un anti-héros détestable, et un scénario de politique-fiction qui surfe sur les peurs, n’épargne pas au lecteur un long exposé didactique (à travers la voix d’un ex-cadre de la DGSI) mais en lui offrant en parallèle la férocité de ton qui accroche quand même la lecture. Reste que l’ensemble est très dérangeant, écœurant souvent, et profondément déprimant.
«Islamophobe»?
Mais est-ce un roman qui «chauffe la place de Marine Le Pen au café de Flore», comme l’écrit Laurent Joffrin dans Libération? Est-ce un «véritable suicide littéraire français» comme l’estime Sylvain Bourmeau, auquel Houellebecq a accordé sa première interview? Houellebecq aime tant brouiller les pistes, se confondre avec ses personnages en se défendant de provoquer, qu’il semble inexact, en refermant Soumission, de le juger «islamophobe». Même quand il est signé de celui qui en 2001 déclenchait un scandale en qualifiant l'islam de «religion la plus con». Pour certains, la manipulation serait telle qu’il s’agirait au contraire d’«allumer un contre-feu afin de circonscrire l'incendie principal», celui de la montée de l'extrêmisme.
Qu’en dit Houellebecq lui-même? Qu’il reconnaît «utiliser le fait de faire peur», mais qu’il n’y a là aucune provocation, dit-il à Sylvain Bourmeau. «Je ne dis pas de choses que je pense foncièrement fausses juste pour énerver. Je condense une évolution à mon avis vraisemblable.» De quoi décontenancer le lecteur qui chercherait la distance, comme y invite l’universitaire Bruno Viard: «Il ne faut pas lire Houellebecq au premier degré (…) Ce qu'il décrit et fait dire à ses personnages, c'est souvent, mais pas toujours, ce qu'il déteste le plus.»
Houellebecq ne prédit «aucun effet»
Soumission «marquera l’irruption des thèses de l’extrême droite dans la haute littérature», écrit encore Laurent Joffrin, anticipant la réponse qui lui sera faite: «Vous n’avez rien compris, c’est de la littérature.» L’éternel débat. Auquel Houellebecq apporte sa contribution en revendiquant «l’irresponsabilité». «Je ne prends pas parti, je ne défends aucun régime.»
Mais puisqu'avec un tirage initial de 150.000 exemplaires et une polémique qui gonflera le succès en librairie, Soumission répandra assurément les idées dérangeantes qu’il contient, peut-il n’y avoir aucun effet? «Aucun, insiste Houellebecq. C’est [l'islam vu comme une menace] déjà̀ à peu près la seule chose abordée par les médias, ça ne peut pas être plus.»
Reste à voir s’il ne dira pas l’inverse ce mardi soir à 20h, face à David Pujadas. Lui-même figure de Soumission où il est élevé, non sans ironie bien sûr, au rang d’«icône».