Jamais le suspense n'a été aussi intense pour départager les prétendants au Goncourt, parmi lesquels l'Algérien Kamel Daoud et le populaire David Foenkinos, qui partaient favoris. Le verdict a fini par tomber ce mercredi midi. Et aucun de ces deux écrivains n'a été sacré par l'Académie.

5 voix contre 4 au cinquième tour

C'est finalement Lydie Salvayre qui a été couronnée pour Pas pleurer (Seuil). L'auteure signe un roman très personnel, mêlant les souvenirs de la guerre civile espagnole de sa mère malade d’Alzheimer et l’expérience franquiste de Georges Bernanos dont il tirera plus tard son livre Des cimetières sous la lune. Alors qu’elle a tout oublié, Montse se souvient pour sa fille, dans ses mots de réfugiée espagnole, de sa révolte devant sa condition de pauvre, de l’engagement de son frère, de l’inquiétude de sa propre mère, de la joie de quitter son village et des rencontres faites à la ville. Le rapport à la mère, les racines catalanes, la colère de classes, l’exil mais aussi la politique des extrêmes… Les thèmes abordés par l’auteure se bousculent, à travers cet été 1936 où l’Espagne chavire et le destin de sa mère bascule.

Pas pleurer a été choisi par les jurés au 5e tour, par 5 voix contre 4 à l'Algérien Kamel Daoud, auteur de Meursault contre-enquête. «Il y a eu de très longues discussions. Une heure trente. Salvayre a été une voie de dégagement pour sortir de l'impasse», a confié à 20 Minutes Régis Debray, écrivain et membre de l'Académie Goncourt. «Je suis très content. C'est un livre qui mêle l'histoire et la psychologie, qui invente une langue.»

«Très émue et très honorée»

Au restaurant Drouant à Paris, où le jury du Goncourt a annoncé le nom de la lauréate dans la cohue, les «oh» de surprise ont retenti. «C'est bien que ce soit une femme», «au moins, La Barbe ne viendra pas cette année», pouvait-on entendre dans l'assistance. Accueillie à l'établissement à 13h ce mercredi midi par une bousculade, Lydie Salvayre a confié être «très émue et très honorée». «Je ne me rends pas bien compte», a-t-elle ajouté. Un peu plus tard, elle déclarait aux journalistes: «C'est le plus biographique de mes romans (...) Les livres que j'écrivais jusqu'à présent avaient une audience limitée. L'audience va grandir, c'est un vrai bonheur.»

Lydie Salvayre a par ailleurs confié à 20 Minutes: «Je n'ai pas voulu insister sur l'actualité de mon livre mais j'espère qu'il résonnera pour certains avec notre présent. C'est un livre qui parle du fanatisme religieux et qui dénonce la réaffirmation des pires nationalismes.»

C'est le sixième prix Goncourt pour l'éditeur Seuil, qui se dit «très heureux». Le dernier avait été attribué à Erik Orsenna pour L'Exposition coloniale en 1988.

Déception pour Daoud

Quelques heures avant l'annonce du vainqueur, Kamel Daoud avait publié le message suivant sur Facebook:

Jackpot pour le grand gagnant

Célèbre dans le monde entier, le Goncourt reste la consécration suprême pour un auteur. Ce prix lui assure en moyenne 400.000 ventes pour le roman primé et des traductions en hausse. Le Goncourt 2013, Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre, tiré initialement à 30.000 exemplaires, s'est écoulé à 620.000 exemplaires (Canada compris) à ce jour. Il a été réimprimé 21 fois et est traduit en 30 langues. L'auteur a affirmé à RTL cette semaine: «La vie change considérablement avec le prix Goncourt.» A ce sujet, Lydie Salvayre a réagi: «Pour l'instant non et j'espère que non.»

A ce jour, 11 femmes ont reçu le prix Goncourt contre 100 hommes. La dernière lauréate était Marie N'Diaye en 2009.