Enki Bilal venge la Terre des méfaits des hommes
BD•«La couleur de l’air» clot de manière radicale la trilogie du «Coup de sang», une fable écologique plutôt pessimiste...Olivier Mimran
Entamée en 2009 avec l’album Animal’z (2009) suivi, deux ans plus tard, par Julia & Roem, la trilogie futuriste d’Enki Bilal dévoile ses nombreux secrets dans La couleur de l’air. Mais alors que, dans chacun des deux premiers volumes, on suivait un groupe d’humains distincts confronté à des bouleversements climatiques généralisés, on les retrouve tous - plus un nouveau groupe - convergeant vers un même point de la planète. «C’est l’aspect un peu "western" de la série», confie Bilal à 20 Minutes, «ça rappelle un peu la conquête de l’Ouest, non?»
«une démarche prospective»
Sauf qu’il s’agit moins de conquête que de sauver sa peau, puisque les protagonistes de la trilogie du «Coup de sang» assistent, impuissants, à l’effondrement du monde tel que l’humanité l’a modelé. Une vue de l’esprit radicale, mais ouvertement revendiquée par le Grand Prix du festival d’Angoulême 1987, qui parle de son récit en termes de «démarche prospective».
«La planète a subi tant d’agressions violentes -et graves-, notamment aux 19e et 20e siècles, qu’elle pourrait parfaitement se défendre», nous explique-t-il. «Les indiens d’Amazonie pensent d’ailleurs que la Terre a le pouvoir de se venger des hommes. Après, mon récit est une fable car je prête à la planète une réaction humaine; ou plutôt, une réaction organique car pour moi, la Terre est une entité vivante! N’importe quel géophysicien ou spécialiste de l’espace confirmera que les astres relèvent de l’ordre du vivant».
Un casting pour les survivants
Puisque l’homme n’arrive pas à se contrôler, à ralentir et à s’imposer de nouvelles règles qui respecteraient l’environnement, la planète décide faire elle-même le ménage via son "coup de sang". «Elle se réorganise, elle refait une sorte de casting au sein de l’humanité (même si je n’en montre jamais la violence). Des lieux sont aussi épargnés, où les survivants pourront rebâtir l’humanité».
L'arche d'Enki
Lorsqu’on lui fait remarquer qu’un tel parti pris a presque des accents bibliques, l’auteur nuance: «Evidemment, le récit évoque l’arche de Noé, sauf que je me place au-delà du religieux. Le religieux, en espérant n’offenser personne, ce sont des fables inventées par les hommes. En réalité, c’est la vie du cosmos qui a généré, bien avant qu’on en parle, des vies, humaines, animales, végétales etc. qui cohabitent». Pour le meilleur, mais surtout pour le pire, semble-t-il. «Ça n'est qu'une question de point de vue, non? Chaque lecteur se fera sa propre opinion là-dessus.»
«La couleur de l'air», d'Enki Bilal - éditions Casterman, 18euros