Intermittents du spectacle: Pourquoi le «Off» d’Avignon ne fait pas grève
INTERMITTENTS•Pourquoi si peu de compagnies du Festival «Off» d'Avignon ont-elles voté la grève? Un intermittent nous explique...Propos recueillis par Sarah Gandillot
Seulement 85 compagnies du «Off» d’Avignon, sur plus d’un millier participant au Festival, étaient en grève lundi, selon un décompte réalisé dans la matinée par la Coordination des intermittents et précaires. Faible mobilisation, donc. L’association qui organise le «Off» avait consulté les compagnies par Internet il y a deux semaines et celles-ci s’étaient déjà massivement prononcées contre la grève. Sur 877 réponses, 98 % des compagnies avaient répondu qu’elles joueraient.
Les intermittents qui les constituent sont pourtant bien souvent les plus précaires. Pourquoi, donc, ne font-ils pas grève? Pas parce qu’ils ne le souhaitent pas, mais parce qu’ils ne le peuvent pas. Alexandre Blazy, metteur en scène du Roi Nu, qui se joue tous les soirs au théâtre Notre-Dame à 18h18, en explique les raisons à 20 Minutes.
Pourquoi si peu de compagnies du Off ont voté la grève?
Nous aimerions bien faire la grève. Sur le principe nous sommes d’accord évidemment pour nous battre et défendre notre statut. Mais on peut très difficilement se le permettre. Et pourtant, en ce qui nous concerne, nous faisons partie des spectacles qui marchent très bien. Imaginez donc les plus petites compagnies, qui n’ont pas forcément de vrai producteur, qui jouent à leur compte… A Avignon, en trois semaines, nous jouons notre année à venir. Et participer au festival c’est déjà, en soi, le parcours du combattant. On réserve les théâtres un an à l’avance. Encore faut-il être sélectionné! Le théâtre des Béliers, par exemple, reçoit 600 candidatures pour 20 spectacles choisis au final. Une fois qu’on a été sélectionné et qu’on a réservé, il nous faut louer la salle. Parfois cela peut coûter jusqu’à 15 ou 20.000 euros. Argent que nous devons avancer près d’un an à l’avance. Peu de gens le savent mais ce sont les compagnies elles-mêmes qui louent leurs salles de spectacle. La plupart des compagnies à Avignon, même en cartonnant, en explosant la jauge, arrivent à peine à l’équilibre. Si on arrive à se verser un salaire, c’est un miracle. Notre objectif c’est juste de rentrer dans nos frais… Alors même un jour ou deux de grève peut tout mettre en péril. C’est dur à admettre mais pour nous, ne pas jouer un jour ou deux est absolument inenvisageable. Et c’est le cas de l’immense majorité des compagnies qui participent au «Off».
Pourtant c’est LE moment pour se faire entendre du gouvernement…
Bien sûr. C’est là où c’est douloureux pour nous. Car à la fois c’est le meilleur moment pour se faire entendre et à la fois on ne peut absolument pas se permettre de choisir la période du Festival pour entrer dans cette lutte-là. Ce serait du suicide. Surtout maintenant. Les 4 ou 5 premiers jours sont décisifs. C’est le moment où s’enclenche le bouche-à-oreille. C’est là que tout se joue. Et puis pour que cela ait un vrai impact, il aurait fallu que les 1.300 spectacles baissent le rideau en même temps. Mais si ce ne sont que quelques initiatives isolées, ça passe totalement inaperçu. C’était tout ou rien…
Y a-t-il sur ce plan une opposition avec le «In»?
Non, pas du tout. C’est juste que ce n’est pas du tout la même culture, ni la même économie. Le «In» est subventionné. Et puis il y a je pense dans le «In» peut-être plus d’intermittents syndiqués. Mais c’est assez logique. Le théâtre qui y est proposé est un théâtre d’engagement, plus politique que celui des compagnies du «Off». Quand le «In» annule, le retentissement est beaucoup plus fort. Ils sont bien plus médiatiques que nous. Ils se servent de cette arme-là et ils auraient tort de s’en priver. Pour résumer, la lutte pour notre statut est dans toutes les têtes et tous les cœurs. Mais la lutte existe peut-être et surtout chaque jour pour que nos compagnies survivent. Mener ces deux luttes de front, c’est compliqué…