Le tatouage et ses maîtres au musée du Quai Branly
EXPOSITION – «Tatoueurs, tatoués» rend hommage aux artistes du tatouage toutes époques et tous continents confondus…Benjamin Chapon
Deux ans de travail ont été nécessaires mais, si l’on en croit Stéphane Martin, président du musée du Quai Branly, l’exposition était en projet depuis la naissance du lieu. Elle semble ainsi synthétiser le propos-même de ce musée hybride qui aborde aussi bien cultures ancestrales que pratiques contemporaines, d’ici ou d’ailleurs.
«Tatoueurs, tatoués» se tiendra jusqu’au mois d’octobre 2015 et devient la plus longue exposition de l’histoire du musée.
Un art et ses contradictions
«Le sujet n’est pas neuf et des musées ont déjà accueilli des expositions sur le tatouage, explique Stéphane Martin. Mais le contexte est propice à cette exposition, chez nous, parce que le phénomène est mondialisé et a ses racines dans les cultures extra-européennes.»
La très riche exposition présente, à travers 300 pièces, une histoire de la pratique du tatouage dans toute sa complexité, voire ses contradictions. Le tatouage a ainsi aussi servi à «guérir, vénérer, diviniser, marginaliser, assujettir, punir, magnifier, avilir».
L’art vu par ses artistes
«Le tatouage a jusque-là uniquement été étudié d’un point de vue anthropologique, ethnologique ou sociologique, remarque Anne, commissaire de l’exposition. Nous avons voulu cette pratique à l’aune de l’histoire des marges. L’exposition est axée sur les tatoueurs et les tatoués.»
Une trentaine de tatoueurs contemporains parmi les plus fameux du monde ont participé à l’exposition en réalisant des projets de tatouage sur toile ou sur de fausses peaux en silicone mise au point pour l’occasion. Lundi, pour l’inauguration de l’exposition, chacun d’entre eux était là.
L’art de l’apprentissage
Les retrouvailles entre stars internationales du tatouage se sont faites avec force embrassades. «C’est une communauté qui se retrouve peu, confie le tatoueur Filip Leu. Notre travail est solitaire. Moi, je ne les vois que quand je veux me faire faire un nouveau tatouage. C’est souvent un prétexte.»
«Chacun sait qui est qui ici, affirme Anne. Ils se respectent tous. Il y a une culture de l’apprentissage chez les tatoueurs. Ils se sont tous formés de la même manière au travers de voyages et dans l’étude et le respect des anciens maîtres.»
Un art par delà la «mainstreamisation»
Stéphane Martin justifie l’ampleur de l’exposition en expliquant qu’il s’agit d’un «patrimoine partagé par une majeure partie de l’humanité. De pratique de caste ou microsociété, la tatouage est devenu une sorte de transgression idéale mondialisée.»
Témoin d’une certaine «mainstreamisation sans goût et sans odeur» de la pratique mondialisée du tatouage, Anne est pourtant confiante dans la capacité de cet art à «résister. Il y aura toujours une part significative qui restera underground, justement parce qu’il a des racines profondes. C’est toute la magie de l’art de pouvoir être séduit par une esthétique au premier coup d’œil puis de pouvoir découvrir une richesse culturelle, une histoire des codes, une généalogie des grands maîtres.»