Fauve≠, Daft Punk, Cascadeur… L’anonymat, une valeur en hausse?

Fauve≠, Daft Punk, Cascadeur… L’anonymat, une valeur en hausse?

CULTURE – Par pudeur, pour s’effacer au profit de leur art ou d’un collectif, ils ont choisi l’anonymat, et fascinent. Le tout à l’heure de la surmédiatisation. Un succès paradoxal? Analyse du phénomène avec plusieurs sociologues...
Annabelle Laurent

Annabelle Laurent

Serions-nous en overdose de «people» et d’ego trip? Sur scène - cette semaine, celle du Bataclan – les cinq garçons anonymes de Fauve≠ préfèrent rester tapis dans l'ombre. La sortie de leur album tant attendu coïncidait, lundi, avec le second opus de Cascadeur, chanteur pop au visage recouvert d’un casque de moto ou d'un masque de catcheur mexicain. Il y a dix jours, le duo culte et casqué des Daft Punk triomphait aux Grammy’s, comme le non moins culte street-artist Banksy dominait New York fin 2013. Il y a aussi Martin Margiela, créateur le plus secret du monde de la mode qui ne répond aux interviews que par fax, et toujours au nom du collectif que constitue son entreprise. L’anonymat – total ou partiel - des artistes, des écrivains, n’a rien de nouveau. Mais à l’heure de la surmédiatisation, le choix peut surprendre. L’adhésion du public, aussi.

Internet et identités multiples

«L’idée du casque est une conséquence de ma timidité», confie Cascadeur. «On n’est pas assez résistants pour affronter la célébrité», répond Fauve≠. «On est assez timides, et on en dit déjà assez suffisamment sur nous dans les textes». Les groupes invoquent d’emblée la pudeur, la crainte de laisser le public, les médias, les atteindre. Surprenant, alors que la norme semble être à la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux, «selfies» à l’appui? Au contraire, juge le sociologue Dominique Cardon, auteur de La démocratie Internet. «Justement, la possibilité d’avoir des identités multiples vient d’Internet, où l’on peut être célèbre sur un forum, incognito dans sa vie. Sur les réseaux sociaux, chacun porte son masque. L’anonymat est un prolongement de cela.» Avec effet garanti s’il y a en prime du «génie marketing», comme chez les pionniers Daft Punk, casqués depuis 2001.

Une contre-stratégie marketing

Plutôt que d’étaler sa vie privée pour exister, s’effacer n’est rien d’autre qu’«une stratégie de gestion de la visibilité médiatique», commente Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue des médias, auteur de 12 ans de télé-réalité. «Les gens sont saturés d’infos sur la vie personnelle des stars. Face à ça, ces artistes construisent leur contre-stratégie marketing». «La télé-réalité célèbre l’individualisme avec ce discours "sois-toi-même, invente ta propre vie". Là, l’artiste dit "ce n’est pas moi qui compte, c’est ce que je crée".» Comme une sorte de CV anonyme, souligne la sociologue. «Comme aussi, les auditions à l’aveugle de "The Voice". Peu importe qui tu es et d’où tu viens.»

Anonymous et culte de l’égalité

L’anonymat est aussi le choix des collectifs. C’est le cas de Fauve≠. «On ne voulait pas que le chanteur soit seul sur le devant de la scène. Il n’y a pas de star dans Fauve.» «On retrouve le culte de l’égalité qui existe par exemple chez les Anonymous, où le masque fait disparaître les singularités», note Dominique Cardon. L’anonymat pour valoriser le message d’une lutte, comme chez les «Camille», prénom commun aux opposants à Notre Dame Des Landes. «Comme dans la culture hacker, ajoute Dominique Cardon, où on ne valorise pas les personnes. Les hiérarchies se font à travers les compétences».

«S’il y avait nos visages, nos noms, sans doute que les gens ne se seraient pas autant appropriés le truc», estime Fauve≠. Pour Monique Dagnaud, sociologue de la jeunesse qui, intriguée par le phénomène, leur a consacré un article, Fauve≠ séduit «parce qu’en valorisant le collectif, il reflète un mode de fonctionnement très présent chez la jeunesse d’aujourd’hui: la force de l’amitié, de la tribu. Cette même jeunesse qui a une forte culture du partage, et est beaucoup moins narcissique et "moi-je" qu’on ne le dit».