«Fort McMoney», une enquête virtuelle qui piétine comme en vrai

«Fort McMoney», une enquête virtuelle qui piétine comme en vrai

Documentaire – Le jeu-documentaire d’Arte confronte les internautes aux affres des journalistes enquêteurs…
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

Un documentaire? Un jeu vidéo? Les deux. «Fort Mc Money», nouvelle production d’Arte et création de David Dufresne, déjà réalisateur du documentaire interactif «Prison Valley», propose aux internautes de découvrir la ville canadienne de Fort McMurray mais également de jouer pour la transfomer. Du moins virtuellement.

Le joueur incarne le réalisateur (tout est filmé en caméra subjective, comme dans un jeu de tir) et part à la découverte de cette «boomtown» du grand nord canadien, où les plus vastes industries du monde extraient du pétrole des sables bitumineux de l’Alberta. Située à cinq heures de route de la moindre autre ville, Fort McMurray incarne «un nouveau Far West» pour David Dufresne.

L’imagination au pouvoir

Les questions sociales, environnementales et économiques, inextricablement liées les unes aux autres, sont abordées au cours du documentaire. De la mairesse de la ville à un médecin des urgences ou des sans-abris victimes du coût faramineux de la vie, le joueur découvre petit à petit une réalité sordide et complexe.

Mais le jeu «Fort McMoney» propose d’aller plus loin en incitant les joueurs à débattre de proposition pour améliorer les choses. C’est là que Fort McMoney, avatar imaginaire de Fort Mc Murray entre en jeu. La ville imaginaire, cogérée par les internautes va évoluer au fil des semaines en fonction des décisions prises par les joueurs.

«Money» plus fort que «Murray»

Avec plus de 85 000 connexions en quatre jours, la «population» de Fort McMoney a dépassé la population réelle de Fort McMurray.

Au bout d’une semaine, un premier référendum entre joueurs a décidé, à une large majorité, de taxer davantage les industriels du pétrole. Après une semaine de jeu, les participants les plus actifs sont pour la plupart favorable à une décroissance voire à une fermeture des usines.

Des informateurs des bas-fonds

Le référendum suivant a des implications plus complexes. Il demande: «Faut-il lancer des campagnes de prévention dans les pays d’origine des néo-arrivants?» En clair, faut-il les décourager?

La visite de cette ville considérée comme un Eldorado où il est très facile de s’enrichir débute par le camping. L’enquête explore essentiellement les bas-fonds de Fort McMurray dans le premier épisode. Les sans-abris, qui survivent en vendant des canettes à des usines de recyclage, et les membres de services sociaux, financés par les industries, seront vos premiers informateurs.

Une enquête journalistique avec ses errements

Au-delà des bugs et des difficultés de prise en main, les premiers joueurs se plaignaient souvent d’être bloqués, ne plus savoir comment avancer dans le jeu. En cela, Fort McMoney retranscrit admirablement une réalité du travail d’enquête.

Les entretiens par exemple peuvent se dérouler de différentes manières en fonction de la question que vous choisissez de poser en premier. Si vous attaquez un entretien sur un ton général ou personnel, ou si vous posez immédiatement le problème de la drogue et de l’alcoolisme, ou si vous vous focalisez sur l’environnement…

Comme dans une enquête, le joueur tourne en rond, se perd. La frustration fait partie du jeu.

Les Canadiens moins radicaux

Si l’on en croit la teneur des premiers débats entre joueurs, le côté obscur de Fort McMurray incite les joueurs à des changements radicaux. Les positions sont très tranchées. Du moins dans la version française du jeu.

Production internationale, «Fort McMoney» a une déclinaison allemande et une version canadienne, anglophone. Là-bas, où la question de l’exploitation des sables bitumineux est largement couvert par les médias, les débats entre joueurs sont moins caricaturaux. Et aussi plus désespérés.

Il sera intéressant de voir si, à l’issue du jeu, la version française de «Fort McMoney» vaut mieux que la réelle FortMcMurray.