Arcade Fire se mire en son «Reflektor»
•MUSIQUE – Le groupe de rock sort ce lundi son quatrième album, très attendu et entouré de mystères depuis plusieurs mois…Benjamin Chapon
Quatre jours avant sa sortie officielle en France, Arcade Fire a mis son quatrième album en écoute gratuite sur Internet. Le groupe canadien use ainsi d’une méthode récemment éprouvée par plusieurs pop stars plus ou moins dépassées par les fuites de leurs albums.
Le procédé, banal, est un peu décevant au vue des opérations mystères qu’Arcade Fire a imaginées ses derniers mois. Street marketing, concerts sauvages, invention du groupe alter ego The Reflektors, clips ou concerts filmés par Anton Corbijn et Roman Coppola…
Arcade Feu-follet
Le résultat, en revanche, est à la hauteur des attentes et des rumeurs. On savait que James Murphy, après avoir liquidé son groupe culte LCD Soundsystem, serait à l’œuvre sur cet album. Comme prévu, il impulse un courant disco-dance au rock savant d’Arcade Fire.
Jusque là, Arcade Fire réalisait une musique idéale pour accompagner son jogging ou sa séance de ménage. «Reflektor» ne fait pas sauter de joie, il fait danser, vraiment, avec des pas, des chorégraphies.
Priape des Caraïbes
Après deux albums enregistrés dans leur église-studio de Farnham (aujourd’hui vendue), Arcade Fire a visité les caraïbes, d’Haïti à la Jamaïque en passant par Miami, et en a ramené des chansons vaudous étourdissantes, sexuellement très chargées. Ils avaient l’habitude des longs morceaux ambitieux, cathédrales branlantes mais glorieuses, les voilà bâtisseurs de longues transes électriques et sensuelles.
Cette influence afro-caribéenne passe par l’emploi de rythmes et instruments traditionnels du genre mais aussi par une certaine philosophie. Mystique depuis ses débuts, Arcade Fire ne se soucie plus tant du but à atteindre (un bon morceau) que du chemin à parcourir.
Au commencement était le son
Pour l’auditeur, c’est parfois pénible. Certains morceaux ont gardé un aspect brouillon. Mais pour ceux que le chaos de la genèse intéresse autant, sinon plus que celui de l’apocalypse, «Reflektor» est un chef d’œuvre. Arcade Fire y réinvente son son.
Sans doute parce qu’ils avaient trop de matière (1h25 de musique), Arcade Fire a fait de «Reflektor» un double album. Les analyses ne manquent pas sur le sens à donner à cette métaphore filée du reflet, qui va du nom de l’album à la référence permanente au mythe d’Orphée.
Rétro et angle mort
Orphée, pas Narcisse (celui qui se noie dans son reflet), le poète chanteur qui échoue à arracher sa belle Eurydice des Enfers parce qu’il ne résiste pas à la tentation de se retourner vers elle.
Arcade Fire non plus ne résiste pas, dans la deuxième partie de son album, à revenir au rock euphorisant qui lui a valu la reconnaissance critique. On ne peut pas leur en vouloir parce que ce coup d’œil dans le rétro permet d’envisager le chemin parcouru par le groupe lu plus aventureux de ces dernières années.