Pourquoi on adore détester Marc Levy

Pourquoi on adore détester Marc Levy

LITTÉRATURE – Des libraires livrent leur analyse du phénomène de répulsion à l’égard du célèbre écrivain…
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

«Eh oui, même si ça me chagrine, j’en ai trois grosses piles. Les gens ont le droit de lire ce qu’ils veulent après tout.» «Je l’ai en stock si on me le réclame, mais je ne les mets pas sur les tables où je préfère mettre en avant les livres que je recommande.» «J’ai créé un espace un peu faux-cul avec les meilleures ventes, il est là.»

Quel est donc ce livre que ces trois libraires vendent à contrecœur? Un sentiment plus fort que la peur, dernier roman en date de Marc Levy qui sort ces jours-ci une bande dessinée, Les enfants de la liberté, avec Alain Grand au dessin.



L’auteur français vivant le plus vendu dans le monde est aussi l’un des plus détesté des critiques, et des libraires donc. Pourquoi? «Ça vous intéresse vraiment de parler de ça? Vous ne préférez pas qu’on discute de littérature?» Boum, le scud vient de Denis Darmon, libraire à Montpellier. «Ses livres sont plats, sans élan et multiplient les lieux communs et les grosses ficelles dramatiques. Bien sûr, c’est facile à lire, et donc agréable pour certains.»

Est-ce le succès ou l’effacement qui agace?

OK, le style Marc Levy semble fade. Et alors? «Des mauvais auteurs et des mauvais livres, il y en a d’autres. Mais Marc Levy, lui, a un succès international qui attire l’attention des détesteurs professionnels», explique Maria Panisse, libraire à Marseille.

Thierry Marie, libraire à Ivry, s’il ne défend pas pour autant l’auteur, comprend mal l’acharnement qu’il suscite: «Il a une personnalité publique plutôt effacée, on le voit peu dans les médias, il est moins clivant que Yann Moix ou Frédéric Beigbeder et n’a pas l’excentricité un peu fatigante de Houellebecq. Il y a peut-être un peu d’antisémitisme rampant derrière ce haro anti-Levy.»

Un auteur facile à attaquer

Pour Denis Darmon, c’est justement parce qu’ils sont «sans intérêt» que les livres de Levy suscitent cette hargne. «C’est plus facile de détester un livre inoffensif, des histoires gentilles et sans saveur, qu’un roman plus complexe. C’est plus facile de hausser les sourcils d’un air entendu à propos du dernier Amélie Nothomb que d’argumenter contre Les Evaporés de Thomas B.Reverdy par exemple.»

Sur les quatre libraires interrogés, un seul a eu la curiosité de lire le dernier Marc Levy. «Mes amis et collègues me disent que la vie est trop courte pour lire ce genre de choses mais moi, je suis curieuse, s’amuse Erica Michard, libraire à Paris. Il y a un peu de snobisme dans le plaisir de lyncher tous ensemble un auteur. Lui n’a rien à se reprocher mais quand on se sent en danger, on a tous besoin de bouc-émissaires. Et les amoureux de la littérature se sentent agressés par le monde contemporain.»