Bulles de papier et numériques, un mariage forcé... mais pas forcément malheureux
BD – Les «Petits Mickeys» ont-ils un avenir sous leur forme imprimée? Deux nouvelles revues abordent diversement la problématique du numérique...Olivier Mimran
Voilà quelques mois, deux nouveaux magazines de bande dessinée, Mauvais esprit et Professeur Cyclope, faisaient le pari de renoncer au papier pour être directement et exclusivement diffusés sur écran (ordinateurs, tablettes et smartphones en l’occurence). Initiative visionnaire ou prématurée? Deux autres titres, apparus ces quinze derniers jours, jouent plutôt la tradition en sortant d’abord en version papier. Mais là où La Revue Dessinée reste ouverte à une déclinaison numérique, Papier –le bien nommé- la rejette d’emblée.
Une intention de départ revue et corrigée
Initiée par un groupe d’auteurs aguerris (Kris, Franck Bourgeron, Olivier Jouvray, Sylvain Ricard, Virginie Ollagnier et le journaliste David Servenay), La Revue Dessinée se présente comme «un trimestriel de reportages, documentaires et chroniques en en BD». Fort de 228 pages de reportages dessinés, le titre rappelle un peu la revue XXI dans son approche éditoriale. Mais alors qu’en 2011, au stade de la réflexion, La Revue Dessinée était supposée ne devenir que numérique (avec un tirage papier de luxe en fin d’année)… elle a finalement vu le jour en versions imprimée ET numérique.
Illustration de Gipi pour La Revue Dessinée
Un ajustement nécessaire, selon Kris, auteur et co-créateur de La Revue Dessinée, pour des raisons artistiques et économiques : «On a réalisé qu’il serait dommage de priver de lecture ceux qui ne possèdent pas de tablette. Et le papier a l’avantage de permettre des projections commerciales à peu près fiables, là où le numérique reste l’inconnu total». Si le n°1 -malgré un prix de vente élevé (15€)- cartonne déjà en librairie (15000 exemplaires mis en vente + 6000 autres imprimés en urgence), sa déclinaison numérique «démarre gentiment», selon Kris. «Mais nous avons toujours la volonté de développer le numérique, d’aller à chaque numéro plus loin en termes de marché –donc de ventes- mais surtout d’expérimentations narratives».
C'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleurs onguents
Une aspiration expérimentale que partage la revue Papier (9.95€, en format poche - éditions Delcourt). Lewis Trondheim, son co-créateur avec Yannick Lejeune, le confirme: «L’idée, c’est de publier des récits courts de jeunes auteurs, faire découvrir des auteurs étrangers, éditer des exercices, des tentatives, des lacher-prises, des récréations d'auteurs confirmés». Mais sous une forme «traditionnelle» puisqu’ici, il n’est pas question de proposer le magazine en version pour écran. L’édito du premier numéro raille ainsi les «évangélistes du tout numérique», puis se termine par «longue vie au papier...». Le Grand Prix d’Angoulême 2006, qui fut pourtant, avec Bludzee, l’un des précurseurs en terme de production BD numérique, justifie ce parti pris: «La volonté d'aller vers le numérique et uniquement vers le numérique est absurde. Bien sûr, plein de bonnes choses se font et se feront sur ce support, mais la télé n'a pas tué le cinéma, le cinéma n'a pas tué le théâtre, et le numérique ne tuera pas le papier».
La Revue Dessinée et Papier rappellent donc que les deux supports –celui du passé et celui d’un probable futur- sont donc voués à encore cohabiter quelques années; même si presque tout le monde convient, avec plus ou moins d’enthousiasme, que le numérique remplacera un jour définitivement le papier. Une quasi-évidence que Trondheim balaie pourtant avec sa facétie légendaire : «En cas de tempête solaire, de panne de courant généralisée, ou de disques durs illisibles après 5 ans de bons et loyaux service, le papier, lui, sera encore lisible dans 100 ans, sans autre forme de logiciel ou de source d'énergie que la main qui tourne feuille après feuille».