Paolo Bacigalupi: «La science-fiction, ce sont des verres non pas pour regarder le futur, mais le présent»
SCIENCE-FICTION – Rencontre avec Paolo Bacigalupi, l’auteur américain du multi-récompensé «La Fille Automate» et du roman pour jeunes «Le Ferrailleur des mers»…Joel Metreau
«Oh mon Dieu, j’ai touché la vie de gens, c’est à la fois merveilleux et effrayant !» L’Américain Paolo Bacigalupi a les larmes qui lui montent aux yeux. Là, à Paris, il impute l’émotion à la fatigue d’un long voyage. Celui qui l’emmène de Paoni, ville du Colorado de 2.000 âmes, où il vit avec son épouse institutrice, jusqu’à Saint-Malo.
Entre les remparts, pour le festival Etonnants voyageurs, il est venu chercher son Grand Prix de l’imaginaire qui a été attribué à La Fille automate (disponible en Livre de poche et aux éditions du Diable Vauvert). Un puissant roman de science-fiction qui a raflé les récompenses les plus prestigieuses dans le domaine: Nebula, Locus, Hugo… «La science-fiction, ce sont des verres non pas pour regarder le futur, mais le présent», affirme-t-il.
Le récit d’aventures «Le Ferrailleur des mers»
Cet homme de 40 ans a écrit Le Ferrailleur des mers (Au Diable Vauvert), un récit d’aventures et d’anticipation dans un monde post-apocalyptique, pour les jeunes. «En écrivant, le livre prend parfois sa propre vie. Je pensais écrire un roman autour du concept de durabilité et, au tiers, je me suis aperçu que j’écrivais un livre sur la famille», une relation très dure entre le jeune héros Nailer et son père. «Ma mère devait beaucoup partir pour le travail. Alors elle me laissait chez des amis, j’étais comme dans des familles adoptives. J’avais plein de mères, plein de pères et de modèles qui me soutenaient», se souvient-il. «Les liens du sang ne sont pas les plus importants, mais les relations qu’on crée», ajoute ce fils de hippies qui prônaient «le retour à la terre» et qui l’ont nourri au «riz complet», précise-t-il dans un sourire.
Paolo Bacigalupi a découvert une «gemme cachée» dans l’écriture du Ferrailleur des mers: «On a son projet et on découvre quelque chose de plus fort. Et quand on reçoit des lettres d’enfants… » Il s’interrompt, sa voix s’est nouée.
Monsanto, biotechnologie et développement durable
Le thème du développement durable traverse ses romans. Le Ferrailleur des mers s’inscrit sur une Terre privée de pétrole, où l’énergie éolienne pousse désormais des voiliers de fer sur les routes maritimes. Dans ces romans de «fiction spéculative», il s’interroge sur la stabilité «des moteurs de la prospérité», les ressources nutritives ou énergétiques. Son résumé de La Fille automate? «Des grosses multinationales agroalimentaires utilisent la biotechnologie pour inventer des aliments et engranger du profit. Et si des entreprises comme Monsanto prenaient sans contrôle le pouvoir dans le monde, quelles en seraient les conséquences?» Pour cette œuvre, il s’est appuyé sur des discussions avec ses voisins fermiers. Lors de notre rencontre, il rappelle la décision favorable de la Cour suprême à Monsanto face à un petit agriculteur de l’Indiana. Et un peu plus tard, les échos de l’affaire Spanghero, parvenus jusque chez lui.
Roman de zombies pour enfant de 10 ans
Dans son prochain roman, une histoire de zombies rédigée à l’attention d’un garçon de 10 ans, il évoque en creux le racisme, la politique d’immigration des Etats-Unis et fait d’une boucherie industrielle l’origine de l’invasion des morts-vivants. «Les adultes sont comme des trains qui ont déjà quitté la station. Pas les enfants. Une œuvre littéraire peut encore les inspirer.»