A qui profite le streaming?

A qui profite le streaming?

MIDEM – Deezer, Spotify et leurs alternatives séduisent de plus en plus. Le streaming affichait sur l'année 2012 une progression de 32%. Les producteurs s'en félicitent. Quid des artistes, qui touchent moins d'un centime par écoute?...
Annabelle Laurent

Annabelle Laurent

«Ne vous y trompez pas, les nouveaux artistes que vous découvrez sur Spotify ne seront pas payés. Pendant ce temps-là, les actionnaires rouleront bientôt sur l'or», s’est insurgé dimanche sur Twitter Thom Yorke, star du groupe britannique Radiohead. Il venait de retirer The Eraser, son premier album solo, ainsi que les chansons de son groupe Atoms for Peace, son projet avec le producteur Nigel Godrich de la plateforme de musique en ligne.

A cette occasion, nous republions notre décryptage publié en janvier à l’issue du marché international de l’édition musicale (Midem).

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Vous acceptez de payer 9, 99 euros chaque mois pour avoir accès à toute votre musique en illimité, sur votre ordinateur ou votre mobile? Les adeptes du streaming dont vous faites partie sont de plus en plus nombreux. Spotify compte plus de 100.000 abonnés à ses offres payantes en France. Deezer en compterait environ trois fois plus.

Mais les adeptes sont aussi ceux qui les ont vus naître avec inquiétude il y a quelques années, et les présentent désormais comme des «leviers de croissance» indispensables pour renverser la tendance d’un marché du disque en crise pour la dixième année consécutive. Le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), qui représente les producteurs, s’est réjoui lundi, dans le cadre du marché international de l’édition musicale (Midem), des «32% de progression du streaming», qui représente désormais 42% des revenus du numérique. Ce qui fait de la France le 2e pays du streaming après la Suède, si l'on tient compte du poids des revenus du streaming au sein de ceux du numérique.

«Il y a ceux qui disent que la rupture s’est faite avec le numérique. Mais le téléchargement comme celui proposé par iTunes n’a rien apporté par rapport au CD! La rupture, c’est le streaming, et aujourd’hui c’est une évidence que ça va revaloriser le secteur musical» se félicite auprès de 20 Minutes Simon Baldeyrou, le DG France de Deezer, qui anticipe notre question: «Le gâteau va grossir… Est-ce qu’on va plus le partager? Oui, puisque beaucoup de coûts (fabrication, transport…) disparaissent. Il y a plus à prendre pour tout le monde!».

«Du racket» pour les artistes

Sauf que le discours est très différent du côté des artistes. En cause: les versements microscopiques qu’ils perçoivent: 0,0001 euro pour chaque écoute d’un titre sur du streaming gratuit et 0,004 euro pour du streaming premium, selon les chiffres communiqués au Midem par l’Adami, qui gère les droits des artistes. «Le streaming, c’est bien, mais pour les artistes, c’est du racket. Ils ne comptent pour rien. Ils touchent 5%, et les producteurs 95%!» affirme à 20 Minutes Jean-Jacques Milteau, président de l’Adami, qui compare cette répartition des revenus à celles de 50/50 qui prévalent pour la radio, la TV et les lieux sonorisés, et pour la copie privée sonore, dit-il. «Tout le monde a parlé de ‘’partage de valeur’’ pendant ce Midem. Mais c’est là qu’il n’y en a pas! On a changé d’économie et les producteurs veulent rester dans l’ancienne, en raisonnant comme si on vendait encore des bouts de plastique» s’indigne Jean-Jacques Milteau.

70% des revenus des plateformes reversés aux ayants-droits

Du côté des plateformes de streaming, on montre patte blanche. «On reverse 70% de tout ce qu’on gagne (via les pubs et les abonnements, ndlr) aux ayants-droits, on est extrêmement transparent là-dessus. Le souci n’est pas chez nous» lance Simon Baldeyrou de Deezer. Même discours chez Spotify, qui reverse également 70% de ses revenus, et sort les chiffres: «Nous avons reversé 500 millions de dollars reversés aux ayants-droits depuis 2009, et le chiffre a doublé sur les 9 derniers mois» assure à 20 Minutes Yann Thébault, le DG France et Europe du Sud de la petite start-up suédoise devenue grande. «Nos taux de reversement sont réels, on n'a pas à en rougir!» renchérit Guillaume Arth, responsable des licences de Spotify au Royaume-Uni.

Une rémunération à chaque écoute

«La différence par rapport au téléchargement à l’acte, c’est que l’artiste n’est pas rémunéré qu’une fois. Notre catalogue est exploité en permanence» poursuit Yann Thébault. 80% des titres sont en effet écoutés plus d’une fois sur Spotify. «Le montant par écoute ne veut rien dire, ça se construit sur la durée» renchérit-on chez Deezer.

«Si on vend une chanson sur iTunes, on touche une fois et c’est tout. Le streaming, ça rapporte encore et encore et encore» explique d’ailleurs à Libération Martin Mills, le patron de la major indépendante Beggars Group, pour justifier sa conversion au streaming. Mills dit lui partager les revenus du streaming à 50-50 avec les artistes (Adele, The XX, Radiohead) qu’il publie. «Nous le faisons uniquement pour le streaming, parce que les revenus sont vraiment faibles aujourd’hui. Par contre, si le streaming domine un jour le marché de la musique, on sera obligé de revenir à un équilibre plus classique» explique t-il encore à Libération. Cette répartition spécialement calibrée pour le streaming, voilà précisément ce que réclame l’Adami.

Convaincre l'utilisateur

«Pour nous, la priorité reste de convaincre l’utilisateur en améliorant constamment notre plateforme. Si on le convainc de passer au payant, au bout de la chaîne, l’artiste est rémunéré, et plus on grossira, mieux ce sera pour tout le secteur» assure son alter ego chez Spotify. Or pour améliorer leurs plateformes, des investissements sont nécessaires... «Ce qui nous semblerait plus équitable, car il faut rappeler que beaucoup de plateformes ont dû mettre la clé sous la porte, c’est de passer des 70% revenus reversés à 50%, pour avoir 50% pour investir en recherche et développement, en technologie, en marketing» explique le DG de Deezer. De quoi inquiéter sans doute encore davantage les artistes.