Oxmo Puccino: «N’importe qui peut être touché par le rap»
INTERVIEW – Le rappeur Oxmo Puccino revient avec un 6e album, «Roi sans carrosse»...Benjamin Chapon
Après deux albums très personnels, celui-ci semble plutôt tourner vers les autres...
Tous mes albums sont personnels. Celui-ci est plutôt une invitation à l’introspection. Aujourd’hui, on est de plus en plus diffus, dispersé. Je pense qu’il est important, à un moment de sa vie, de savoir où on va et d’analyser son rapport aux autres.
Ce constat vaut pour vous-même?
En tant qu’artiste, je me transpose parfois sur des personnages qui ne sont pas moi, ou une partie de moi, un fantasme. C’est encore plus dangereux, on peut se perdre.
Et quand on n’est pas artiste?
On n’est pris sans cesse sous une avalanche d’informations et de sollicitations. Mais on peut lutter contre ça. Moi par exemple, je ne réponds jamais au téléphone, je préfère donner de l’importance à la personne qui est présente devant moi. Les valeurs du contact charnel se perdent.
Votre image de rappeur intello n’est pas usurpée...
Je préfère littéraire et ouvert d’esprit au terme d’intello. Mais c’est vrai que je suis dans un rap écrit. J’adore le rap commercial ou très dansant, mais moi ce n’est pas ce que je fais de mieux.
Envisagez-vous chacun de vos albums comme le morceau d’une œuvre en construction?
Pas vraiment. Chaque album est un nouveau départ. La question de la légitimité de mes créations s’est posée plusieurs fois. Je vois ça comme une courbe qui rebondit chaque fois un peu plus haut. Au commencement d’un album, je pars toujours du sol. Comme dans la vie, où on repasse souvent par des points zéros. C’est rassurant de voir sa vie comme une forme géométrique.
Et comment s’est dessinée cette nouvelle courbe?Je me suis laissé porter. Les maquettes étaient très sobres, très proches des idées originales. C’était agréable, en studio, de faire ce voyage en terrain familier, ce retour sur un chemin déjà emprunté. On remarque des détails qu’on avait omis. Cette méthode m’a apporté une satisfaction rare. Je me suis entouré de bonhommes, des gens qui connaissent leur boulot. Ça permet un confort, on ne pouvait pas se tromper.
C’est votre premier album composé à la guitare…
Je pratique la guitare depuis deux ou trois ans. Au début, ça m’a permis des accidents heureux, je trouvais des idées un peu par hasard. Maintenant, la guitare me permet d’appliquer immédiatement mes idées.
C’est-à-dire sans demander l’aide d’autres musiciens?
Je compose depuis longtemps mes propres instrus. A la fin des années 1990, tous les rappeurs travaillaient à partir des mêmes musiques de quelques DJ attitrés. Ça a donné pleins d’albums qui se ressemblaient les uns les autres et qui, en eux-mêmes, étaient incohérents. Moi, j’ai peu à peu commencé à travaillé avec des musiciens, puis j’ai écrit mes propres musiques, sur mesure. Quand j’ai écrit un texte, il y a encore un temps de gestation pour qu’il trouve sa musique. Ça peut être une nouvelle mélodie ou un vieux truc. Sur cet album, il y a des mélodies qui ont six ou sept ans et que j’avais gardées.
En mémoire?
Oui, en mémoire de mon ordinateur. Je garde tout. Là, je suis en plein classement pour gagner des gigas.
Votre rap, proche de la chanson, est une bonne porte d’entrée pour des gens qui pensaient ne pas aimer le hip hop...
Je ne comprends pas cette réticence de principe. Le rap est si vaste. Personne n’aime tout le rap, moi y compris. Mais cette musique est si riche, et se marie avec d’autres styles depuis toujours. C’est même le propre du rap, le mélange. N’importe qui peut être touché par le rap.
Le succès a-t-il changé votre approche de la musique?
De la musique, non. Mais des concerts, oui. Quand j’ai débuté et qu’il y avait dix ou quinze personnes au concert, c’était simple et fort. Maintenant, c’est toujours aussi fort mais plus compliqué. Tous les gens qui viennent me voir après le concert, il pourrait y avoir un rapport possible très fort entre nous. Et je vais devoir réduire notre échange à quelques secondes… Ça m’affecte. C’est lourd à porter cette déception.