INTERVIEWPascal Canfin: A Rio, «on n'imposera rien à la Chine, ni à l'Inde»

Pascal Canfin: A Rio, «on n'imposera rien à la Chine, ni à l'Inde»

INTERVIEWLe ministre délégué chargé du Développement explique à «20 Minutes», les enjeux du sommet de Rio +20 pour la France...
Propos recueillis par Lucie Romano

Propos recueillis par Lucie Romano

Le sommet sur le développement durable Rio +20 commence dans huit jours. La France sera bien représentée au Brésil: François Hollande, l’un des seuls chefs d’Etat à faire le déplacement, sera accompagné des ministres de l’Environnement et des Affaires étrangères. Il y aura aussi l’écologiste Pascal Canfin, ministre délégué chargé du Développement. Il revient pour 20 Minutes sur les enjeux du sommet et de son ministère.

Que va défendre la France à Rio?

La France a trois priorités. D’abord, obtenir la mise en place d’une Agence des Nations unies pour l’environnement, afin de coordonner l’ensemble des discussions internationales. Ensuite, développer les financements innovants. Je pense, bien sûr, à la taxe sur les transactions financières, mais aussi à d’autres outils comme la vente aux enchères des quotas carbone. Troisième priorité: l’agenda post-Rio… Il faut faire en sorte que la politique de développement soit imprégnée des principes du développement durable. Sur ces trois points, le gouvernement français est très actif. On ne va pas forcément gagner, mais le combat, mené en lien avec la diplomatie européenne, n’est pas du tout perdu d’avance.

Les pays émergents acceptent-ils l’idée qu’il n’y a qu’un seul agenda, et qu’on ne peut pas dire qu’il y a d’un côté la pauvreté, de l’autre le développement durable?

L’eau, le climat, la désertification… sont des questions écologiques centrales, qui agissent directement sur leur possibilité de développement. En Afrique notamment, les ONG et les Etats en ont pris conscience et vont défendre cette vision à Rio. Les pays émergents d’une manière générale nous disent «nos classes moyennes veulent aussi consommer, avoir des voitures», et nous n’avons pas de leçons à leur donner là-dessus. Ça, c’est le monde réel, j’ai beau être écologiste, je ne veux pas faire de surenchère. Un des éléments essentiels des négociations internationales est d’amener tous les pays autour de la table pour gérer ensemble le bien commun planétaire.

L’un des enjeux de ce sommet, c’est aussi de travailler sur la notion d’économie verte.

Oui, comment invente-t-on des modes de production et de consommation compatibles avec les contraintes de la nouvelle donne environnementale? L’économie verte est un défi planétaire, cela nécessite beaucoup d’innovation. C’est la première fois qu’un sommet des Nations unies mentionne à ce point cette notion que la France pousse, y compris dans son agenda national à travers la transition écologique qui est un engagement fort du président de la République.

Le président de la République a banni la Françafrique. L’Afrique reste-t-elle néanmoins une priorité?

Tout ce qui est relations bilatérales entre Etats est du ressort de la diplomatie française, quel que soit l’Etat en question, africain ou pas. Le continent africain, comme les autres, est inclus dans les dossiers suivis par la cellule diplomatique de l’Elysée, il n’y a plus de canal parallèle au canal officiel. Par ailleurs, l’Afrique n’est plus une chasse gardée comme il y a vingt ans. Cette idée a disparu sur le terrain, les investisseurs et ONG français sont en concurrence avec les Chinois, Brésiliens, Britanniques, Allemands… Il n’y a plus de relations mécaniques de la France avec ses anciennes colonies. Mais nous devons être présents pour soutenir le continent émergent du XXIe siècle, qui est aussi le lieu où la communauté internationale a le plus échoué dans la lutte contre la pauvreté: la moitié des enfants de moins de 5 ans ont des problèmes de croissance. Cela passe par un nouveau modèle de partenariat, normalisé. Pour la question du développement, j’attends le rapport de la cour des comptes à la fin du mois pour voir où en est l’aide publique au développement.

Tout cela coûte cher… (Avec 9,3 milliards d’euros d’aide publique au développement (APD) en 2011, la France est l’un des 4 premiers bailleurs du monde en volume)

Oui, et en des temps budgétaires restreints, les contribuables français veulent savoir comment est utilisé l’argent du développement, et c’est tout à fait normal! Ils se disent «pourquoi j’augmenterais considérablement le budget pour construire des écoles en Mauritanie quand l’éducation nationale en France manque déjà de moyens». Il faut donc d’abord optimiser, améliorer l’efficacité des projets, et on s’appuiera pour cela sur les recommandations de la Cour des Comptes. Par exemple, il est important de regarder si les projets se font dans le respect du développement soutenable (=durable), via notamment une grille d’évaluation. Il faut aussi se battre pour que les pays du sud conservent leurs recettes fiscales qui s’évadent souvent dans des paradis fiscaux, les empêchant ainsi de financer directement des politiques d’éducation, de santé…. Il faut également agir pour diminuer les commissions des intermédiaires sur l’argent des migrants entrants dans les pays du Sud. Ou encore doubler l’aide publique au développement passant par les ONG comme François Hollande s’y est engagé. Quant à savoir à quels pays l’argent doit être destiné… La Chine par exemple a-t-elle besoin de nous? Non, si l’on regarde les réserves financières dont elle dispose. Oui, si l’on considère que les pauvres sont d’abord dans des pays émergents… Il y a plus de pauvres en Inde, Chine et au Brésil réunis qu’en Afrique.

Vous êtes connu pour vos engagements contre les paradis fiscaux et la finance dérégulée, votre marge de manœuvre ne va-t-elle pas se réduire maintenant que vous êtes ministre?

J’ai été eurodéputé (Vert) et un des négociateurs sur des textes européens qui encadrent la finance. J’ai mené des négociations sur des sujets compliqués. Il ne faut pas oublier son idéal, mais il faut être capable d’avancer pas à pas. On n’imposera rien à la Chine, ni à l’Inde. Ça, c’est fini. Il faut trouver des compromis.