INTERVIEWMarée noire de l'Erika: «Quarante ans de droit de l'environnement mis par terre»

Marée noire de l'Erika: «Quarante ans de droit de l'environnement mis par terre»

INTERVIEWL'avocate Corinne Lepage espère que la cour de cassation ne reviendra pas sur la décision de la cour d'appel, qui pourrait blanchir Total de ses responsabilités dans la marée noire de l'Erika...
Propos recueillis par Audrey Chauvet

Propos recueillis par Audrey Chauvet

«On ne s’en tiendra pas là». Mercredi, le président de la région Bretagne, Jean-Yves Le Drian, s’est fait le porte-parole des élus bretons révoltés par la possibilité d’une annulation de la condamnation de Total dans la marée noire de l’Erika. Bien déterminés à ne pas laisser le pétrolier s’en sortir indemne, les élus locaux veulent que le préjudice subi soit réparé. Corinne Lepage, avocate des collectivités locales, explique à 20 Minutes ce qui est en jeu dans cette affaire.

L’audience devant la chambre criminelle de la cour de cassation se tiendra le 24 mai. Quels sont vos leviers d’action pour qu’elle n’annule pas la décision de la cour d’appel?

Ce sont les avocats au conseil d’Etat qui vont plaider le 24 mai et déposer un mémoire complémentaire sur lequel nous travaillons. La cour de cassation juge en droit, nous devons donc la convaincre en droit. Sa décision aura des conséquences importantes sur la sécurité et notamment sur les risques de pollutions liés aux plateformes pétrolières offshore.

Que demandent les élus bretons?

Les collectivités locales que je défends ne sont pas dans toute cette procédure pour des questions d’argent mais pour une question de principe. Il s’agit d’assurer la sécurité des côtes et des populations. Si un juge national ne peut plus poursuivre les responsables des pollutions des côtes, ce sont quarante ans de droit de l’environnement mis par terre et surtout une incitation terrible à l’insécurité. Tout le monde sait que ce ne sont pas les tribunaux maltais qui vont juger ces dossiers. La jurisprudence serait désastreuse.

Avez-vous bon espoir que le procès ne soit pas annulé?

J’ai confiance dans la justice et la sagesse de la cour de cassation qui a été jusqu’à présent progressiste dans le droit de l’environnement.

Dans le cas contraire, Total s’en sortirait blanchi?

Total n’a encore rien payé et l’arrêt de la cour d’appel n’est déjà pas totalement satisfaisant. Le groupe a été considéré comme pénalement responsable, mais pas civilement. C’est comme si un chauffeur qui renversait un enfant était condamné mais sans devoir verser d’indemnités. Si la cour de cassation allait dans ce sens, il ne serait même pas coupable ni condamné au prétexte que la voiture appartient à un pays étranger et qu’il devrait être jugé dans ce pays.

Une harmonisation des législations entre les pays serait donc nécessaire?

Il y a une réflexion à mener au niveau du Parlement européen, à laquelle je participe en tant qu’eurodéputée. Je défends depuis longtemps l’idée d’un tribunal pénal international de l’environnement pour se saisir des problèmes de pollution marine. Sans harmonisation entre pays, on risque d’avoir d’autres situations identiques.