PORTRAITRudolf Brazda, l'ultime «triangle rose» chevalier de la Légion d'honneur

Rudolf Brazda, l'ultime «triangle rose» chevalier de la Légion d'honneur

PORTRAITDéporté en raison de son homosexualité, l'homme reçoit ce jeudi le titre de chevalier de la Légion d'honneur...
Alexandre Sulzer

Alexandre Sulzer

Sa voix, lente, résonne en allemand au nom de tous ceux qui ont disparu. Rudolf Brazda, Mulhousien de 97 ans, est le dernier survivant connu au monde des «Triangles roses», ces homosexuels qui ont été déportés par les nazis parce qu’homosexuels. Le numéro de matricule 7952 du camp de concentration de Buchenwald est honoré ce jeudi par la République qui lui remet le titre de chevalier de la Légion d’honneur. Rudolf se dit «heureux» mais aussi «étonné».

«Longtemps, il a pensé que son histoire n’intéresserait personne», explique Jean-Luc Schwab, son biographe et secrétaire général de l’association «oublié-e-s de la mémoire». D’ailleurs, Rudolf a révélé son passé il y a trois ans à peine. Jusqu’en 2003, ce couvreur vivait avec son compagnon Edi, mort cette année-là, dans le plus parfait anonymat. Une vie paisible -«comme les gens normaux» dit-il souvent- qui, pour lui, a valeur de symbole de résistance au nazisme. «Vivre heureux», comme il l’a fait, est un pied-de-nez à «Hitler à sa bande de chiens».

Incarcérations et déportation

Rudolf naît en 1913 à Brossen, en Allemagne. Il est le huitième enfant d’une famille de mineurs venus de Bohème. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933, il vit tranquillement son homosexualité dans la région de Leipzig. Mais son orientation sexuelle viole le paragraphe 175 du code pénal allemand. Ce qui lui vaut d’être condamné à 6 mois de prison en 1937 puis d’être expulsé en Tchécoslovaquie. Le 3e Reich le rattrape dès l’année suivante avec l’annexion de la région germanophone des Sudètes. En 1942, après un long périple carcéral, il est déporté. Il survit, rencontre Fernand, un communiste français avec lequel il se lie et qu’il suivra à la Libération en Alsace.

Une région qu’il ne quittera plus et où il rencontre Edi, originaire de l’actuelle Serbie. En 1960, Rudolf, apatride, est naturalisé français mais continue de ne s’exprimer qu’en allemand, sa langue maternelle avec le tchèque. «Si on devait revenir aux nazis, il ne faudrait plus que les gens se laissent faire comme cela a été le cas à l’époque. Il faudra se révolter avant qu’il ne soit trop tard», met en garde cet optimiste qui pense qu’«avec l’Europe, on est davantage à l’abri.» Estime-t-il qu’il est plus facile de vivre son homosexualité aujourd’hui ? «C’est une question bête, tranche-t-il. De toute façon, on est comme on est. Et moi, je suis très content comme je suis.»

Repères

1913: Naissance de Rudolf, à Brossen, dans le Land de Thuringe.

1942-1945: Détention au camp de concentration de Buchenwald.

1950: Rencontre d’Edi, le compagnon de sa vie, lors d’un bal.

2008: Inauguration de la Gay Pride de Berlin en compagnie du maire.