Côte d'Ivoire: L'intervention labellisée «humanitaire» de la France pose question

Côte d'Ivoire: L'intervention labellisée «humanitaire» de la France pose question

DIPLOMATIE – Selon les spécialistes, son aide pour faire tomber Laurent Gbagbo traduit une nouvelle méthode...
C. F. avec Reuters

C. F. avec Reuters

François Fillon a beau assurer que pas un seul soldat français n'a mis les pieds dans la résidence de Laurent Gbagbo lundi soir, il ne fait guère de doute que les forces d’Alassane Ouattara ne seraient jamais parvenues à arrêter l’ancien président ivoirien sans l’aide de la force Licorne, même si les modalités exact de ce soutien ne sont pas encore clairement établies.

D'abord réticente, la France a donc finalement fait le choix d’intervenir en Côte d'Ivoire pour faire respecter le choix des urnes et éviter que le chaos ne s'installe durablement dans son ancienne colonie.

Un vernis moral

Mais elle l’a fait d’une nouvelle manière, en prenant soin, comme en Libye, d'agir sous l'autorité des Nations unies et en mettant en avant la nécessité d'éviter un bain de sang.

Selon les analystes, la France entend ainsi continuer à peser sur le continent mais dans un cadre multilatéral, avec une coloration morale et humanitaire et en se défendant de vouloir restaurer les pratiques de la «Françafrique». «Il y a une volonté de ne plus apparaître en 'front-line', de soutenir une partie, un acteur régional qu'on défend, sans que cela apparaisse comme une ingérence», estime Anne Giudicelli, spécialiste des questions stratégiques en Afrique et au Moyen-Orient. «L'idée que la France a la capacité de peser ou de changer un président africain reste ancrée. On met donc un vernis pour éviter ce reproche», ajoute-t-elle.

Des intérêts énergétiques

D'autres experts considèrent que la France n'a de toute manière plus les moyens d'une relation bilatérale avec ses anciennes colonies et qu'elle agit en fonction de ses intérêts, en particulier énergétiques. Ainsi, pour Antoine Glaser, spécialiste de l'Afrique, Paris n'a pas de doctrine définie et agit «au coup par coup» avec des mobiles distincts s'agissant de la Côte d'Ivoire ou de la Libye.

«Il y a un affichage sur les Droits de l'homme et l'humanitaire. Mais en réalité, c'est la realpolitik en fonction des intérêts économiques et financiers français» , estime-il. D’après lui, la France a plutôt agi «à son corps défendant» en Côte d'Ivoire, d'où elle avait véritablement la volonté de se retirer puisque la base militaire qu'elle y entretenait a été la première à fermer en Afrique en 2009.

Paris a maintenu sur place sa force Licorne, mais il s'agit d'une participation des armées françaises au maintien de la paix d'une façon complémentaire à l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci). Antoine Glaser estime que Nicolas Sarkozy aurait continué à «s'accommoder de Laurent Gbagbo» si ce dernier avait remporté une nouvelle fois les élections.

Un «avertissement» à Kadhafi

Au lieu de quoi, le président sortant, battu par son rival Alassane Ouattara, a refusé de céder le pouvoir et entamé un bras de fer de quatre mois avec la communauté internationale. «La situation était bloquée et l'ONU impuissante: la France a fait la différence», estime Dominique Moïsi de l'Institut français des relations internationales (Ifri), dans Libération.

Pour Dominique Moïsi, il s'agit aussi d'un «avertissement» à Mouammar Kadhafi alors que l'intervention lancée le 19 mars par la coalition internationale est menacée d'enlisement.

En outre, les interventions en Côte d'Ivoire et en Libye ont permis à Nicolas Sarkozy de redorer son blason sur la scène internationale. Mais cette politique comporte des risques. «Le coût diplomatique et politique risque d'être énorme, estime dans Libération Jean-François Bayart, du Ceri-Sciences-Po. Pour nombre d'Africains, y compris dans la population ivoirienne, Paris a renversé un président pour mettre à sa place un ami de Sarkozy, du FMI et des Américains.»