Scandale chez Renault: «Carlos Ghosn doit engager une vraie révolution culturelle»
INTERVIEW•Didier Toussaint, docteur en philosophie et auteur d'un livre sur l'entreprise, répond aux questions de 20minutes.fr...Propos reccueillis par Thibaut Schepman
Dans votre livre Renault ou l'inconscient d'une entreprise (2004), vous insistez sur la tradition de dirigeants forts et très craints dans l’entreprise. Est-ce que cela peut, selon vous, expliquer la récente affaire?
Oui. Depuis des années je m’intéresse aux éléments inconscients qui demeurent au fil du temps dans les entreprises. Chez Renault, le grand invariant vient de l’époque où l’entreprise était dirigée par Louis Renault. Cette période est un peu taboue puisque ce dirigeant a été sanctionné à la Libération. Pourtant, elle explique beaucoup des problèmes d’aujourd’hui. Selon les témoignages que j’ai récoltés, on constate que Louis Renault souffrait d’un problème de communication, qu’il avait peur de la foule et était du coup très autoritaire. Les salariés ont intégré une peur de la hiérarchie et une culture du secret qui s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, les salariés racontaient qu’ils se cachaient quand Louis Renault visitait les ateliers. Et bien un ingénieur m’a confié récemment que ses collègues préfèrent encore éviter de croiser Carlos Ghosn aujourd’hui lorsqu’il se rend dans les usines.
Au point que toute la hiérarchie puisse se méprendre, voir être trompée par de faux informateurs, selon la thèse aujourd’hui privilégiée par les enquêteurs?
Bien sûr. Les relations entre les personnes n’ont pas évolué. On se parle très peu chez Renault, en tout cas pas ouvertement, et on a peur. Sur le terrain, les choses avancent de manière cachée. Une grande partie des opérations se fait en marge de l’organisation. L’information ne remonte pas parce que l’on craint de s’exposer en faisant remonter les éventuels problèmes. Du coup, chacun préfère se taire, quitte à laisser passer des rumeurs peu fondées. Il est prouvé que le manque de communication nuit aux processus de décision, produisant même des décisions invraisemblables, comme par exemple l’éviction de salariés. Tout cela crée les conditions pour que des événements aussi incroyables qu’une escroquerie de grande ampleur surviennent.
Dans cette affaire, les agissements du comité de sécurité sont particulièrement décriés. Est-ce une constante chez Renault?
Je connais moins l’organigramme précis de la sécurité chez Renault. Mais imaginez que vous lâchez des anciens membres des renseignements généraux, avec toute latitude, dans une société où règne la culture du secret. Plus personne n’est capable de s’opposer à eux, de remettre en cause leurs enquêtes…
Les dirigeants de Renault ne semblent pas sur le départ. Quelles décisions peuvent être prises pour empêcher que de tels événements se reproduisent?
Je ne suis pas choqué de voir que les dirigeants gardent leur poste. Carlos Ghosn s’est excusé et je trouve cela bien. S’il avait annoncé un départ, cela aurait détourné l’attention des vrais problèmes de l’entreprise. Je pense qu’il doit engager une vraie révolution culturelle pour mettre fin aux mécanismes inconscients qui ont conduit aux problèmes internes récents, des suicides dans le technocentre de Guyancourt à l’affaire d’escroquerie présumée de ces dernières semaines. Pourra-t-il mener un tel changement alors que son attention est concentrée sur les marchés émergents et sur ses partenaires étrangers? C’est toute la question qui se pose aujourd’hui…