Pourquoi Nicolas Sarkozy parle de fiscalité quand les Français manifestent
DECRYPTAGE•Le chef de l'Etat veut (faire?) croire que la séquence des retraites est terminée et veut «resserrer les liens» avec sa majorité...Maud Pierron
Tandis que les cortèges contre la réforme des retraites s’ébrouaient dans plusieurs dizaines de villes en France, Nicolas Sarkozy recevait mardi midi à l’Elysée une vingtaine de députés UMP. Pour parler de la situation du pays? Pas du tout. Pour leur annoncer que la réforme de la fiscalité du patrimoine, qu’une centaine de députés de la majorité ont réclamé la semaine dernière en demandant la suppression du bouclier fiscal et de l’ISF, aurait bien lieu, en juin 2011. Il n’est d’ailleurs pas prévu que le chef de l’Etat s’exprime devant les Français sur le sujet des retraites. François Fillon l’a fait à l’Assemblée: «Nous sommes décidés à mener cette réforme à son terme», a-t-il déclaré. Point. Telle est la réponse adressée aux millions de manifestants qui ont une nouvelle fois arpenté les rues ce mardi (3,5 millions selon les syndicats, 1,2 million selon la police).
«Son message ne s’adresse clairement pas aux grévistes ou à l’opinion mais à sa majorité: dans la période très difficile vécue par Nicolas Sarkozy, il veut dire qu’il a compris le message de ses parlementaires sur le bouclier fiscal», analyse Gérard Grunberg, politologue au Cevipof. «Quoi qu’on en dise, ce bouclier fiscal a été une défaite politique dans le sens où l’exécutif n’a pas réussi à imposer idéologiquement cette mesure», ajoute-t-il. Pour lui, l’annonce du chef de l’Etat, relayée par des élus de la majorité, n’est pas en soi un message, une claque adressée aux manifestants, mais «aujourd’hui, il paraît plus important à Nicolas Sarkozy de parler à sa majorité avec qui il veut resserrer les liens que du conflit social». Signe que la séquence sur les retraites est terminée, puisque le texte – déjà adopté par l’Assemblée – est en passe d’être adopté par le Sénat et qu’au dire de Gérard Longuet, «il n’y a plus de marge de manœuvres»? Preuve que le gouvernement prépare déjà la prochaine séquence, celle du budget 2011, alors que le texte commence à être examiné lundi à l’Assemblée?
«C’est de l’affichage»
Signe surtout «d’un président autiste», juge Stéphane Sirot, historien et spécialiste des conflits sociaux en France, qui juge «surprenante» cette annonce alors que «la mobilisation aujourd’hui est plus forte que la précédente». Le message, c’est on ne change rien, on ne dévie pas de notre ligne de conduite, explique-t-il. Mais, jure-t-il, «c’est de l’affichage. Nicolas Sarkozy essaie de faire croire que la séquence est terminée et qu’on va passer à un autre sujet alors qu’en réalité, il n’y a aucun désintérêt pour ce qu’il vient de se passer, qui est un moment clé du conflit social».
De quoi «énerver» les manifestants qui, en «l’absence de dialogue social», sont conduits «dans une épreuve de force plus dure, une radicalisation du mouvement», analyse Stéphane Sirot, professeur à l’université de Cergy-Pontoise (Val d’Oise). L’historien parle même de «forme de discours par le mépris» en ce cas précis, mais qui ne diffère pas vraiment de ce qu’il observe depuis quelques mois, avec ce qu’il appelle «la folklorisation des manifestations»: lorsque le Président ou des élus de la majorité relèvent que «les Français vont dans la rue, ils manifestent, ils rentrent chez eux, c’est un rituel français, il faut attendre que ça passe». Au-delà de «l’aspect tactique d’une telle déclaration», c’est un signe «plus profond de la manière dont la droite envisage le pouvoir» en France, sans reconnaître d’autre légitimité que celle qui a pu être donnée lors de la présidentielle de 2007, «malgré la série d’élections perdues entre-temps et de conflits sociaux depuis trois ans», explique Stéphane Sirot.