Six ans dans la jungle avec Ingrid Betancourt
COLOMBIE•L'ex-otage des Farc livre un témoignage bouleversant sur sa captivité...Armelle le Goff
Une plongée dans les ténèbres. Le témoignage d’Ingrid Betancourt, sobrement intitulé d’un vers de Pablo Neruda, Même le silence a une fin, paraît mardi chez Gallimard. Loin de l’exercice de témoignage obligé auquel se sont pliés la plupart de ses compagnons d’infortune à mesure que les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) les libéraient, le texte d’Ingrid Betancourt, candidate à la présidentielle en Colombie pour le parti Oxygeno verde, otage de la guérilla du 23 février 2002 au 2 juillet 2008, est d’une portée et d’une densité rares.
Son récit de 689 pages réussit à nous emmener loin, très loin, à ses côtés, durant ses six années de captivité, dans les recoins de cette jungle du Guaviare, où elle vécut des heures si sombres, enchaînée, humiliée, rongée par l’humidité et les insectes. Elle parvient aussi à transmettre cette nécessité absolue qui fut la sienne, pour survivre, de protéger coûte que coûte son pré carré, garant de son humanité.
Un témoignage précieux sur le fonctionnement des Farc
Dès lors, les commentaires de ses anciens compagnons la décrivant comme hautaine et égoïste perdent quelque peu de leur substance. Comment juger de ce qui s’impose à chaque individu dans cet environnement si cruel? Au-delà de la souffrance et de l’introspection, Ingrid Betancourt livre un témoignage précieux sur le fonctionnement des Farc, la violence de l’embrigadement imposée à de jeunes gens à peine sortis de l’adolescence et le machisme qui régit les relations hommes-femmes.
Elle décrit aussi sans faux-semblants cette relation si particulière qui peut se nouer entre prisonniers et geôliers, la proximité insupportable entre détenus, les brusques accès d’espoirs et les rechutes tout aussi brutales et profondes et la beauté de liens qu’on n’aurait jamais soupçonnés pouvoir nouer dans un environnement si atroce... Un texte bouleversant.