Dominique Bertinotti: «Le projet de loi sur le mariage pour tous est une première étape»
INTERVIEW•Alors que le projet de loi sur «le mariage pour tous» a été adopté ce mercredi en conseil des ministres, Dominique Bertinotti, ministre déléguée à la Famille, répond à «20 Minutes»...Propos recueillis par Faustine Vincent
Le mariage pour tous a franchi ce mercredi matin une étape avec l'adoption en conseil des ministres du projet de loi permettant aux homosexuels d’accéder au mariage et à l'adoption. Dominique Bertinotti, ministre déléguée à la Famille, répond pour 20 Minutes aux critiques adressées au projet.
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent de confisquer le débat et d’agir dans la précipitation?
Le débat est là, de fait, et il va se poursuivre. Le texte sera présenté la deuxième quinzaine de janvier et sera adopté vers mars-avril. Et tous les jeudis après-midi, les auditions devant l’Assemblée nationale seront publiques. Les Français pourront suivre les arguments des uns et des autres. Par ailleurs, le mariage pour tous fait partie des engagements de François Hollande lors de la campagne présidentielle. Nous n’avons pris personne par surprise.
Certains estiment qu’il y a plus urgent que cette loi, comme s’occuper de la crise économique…
Une réforme de société n’est pas incompatible avec des avancées sociales. En 1944, on a accordé le droit de vote aux femmes alors qu’on était en pleine reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. Lorsque la loi sur l’IVG a été présentée, on était en plein premier choc pétrolier. En 1981, quand la peine de mort a été abolie, cela n’a pas empêché de faire les 39h, la retraite à 60 ans, la 5e semaine de congés payés…
Comprenez-vous les réticences envers ce projet de loi?
C’est normal et utile qu’il y ait matière à débat. Mais ce projet de loi n’est pas qu’une affaire d’homosexualité. En permettant de traiter les couples homosexuels sur un pied d’égalité, on fait avancer l’ensemble de la société. Parce qu’on va aider les familles d’homosexuels à entrer dans une norme juridique, et parce qu’on va porter un regard différent, banalisé, sur l’homosexualité. Je veux aussi tordre l’idée, entendue dans la bouche de la hiérarchie ecclésiastique, selon laquelle ce serait le mariage de quelques-uns imposé à tous. Non. Le mariage hétérosexuel reste tel qu’il est, mais il est élargi aux couples homosexuels. Ce n’est pas une substitution, mais un élargissement, fondé sur le principe d’égalité.
Les opposants redoutent que le projet de loi mène à une destruction de la famille...
Il ne s’agit de pas de dire qu’un modèle l’emporte sur l’autre, mais de prendre la société comme elle est. Les familles homoparentales existent déjà. En tant que ministre de la Famille -de toutes les familles- je vais être celle qui les sécurise, et du coup, celle qui sécurise les enfants. Face à certains arguments, j’ai envie de leur demander: «Mais dans quel monde vivez-vous?» Nous ne sommes pas en avance sur le mariage homosexuel, car 11 pays l’ont déjà fait dans le monde.
Le texte laissera de nombreuses familles homoparentales dans un no man’s land juridique, notamment les couples ayant conçu un enfant par PMA mais qui se sont séparés…
Le projet de loi présenté devant le conseil des ministres est une première marche. Elle est indispensable si on veut aller plus loin. Le texte va vivre sa vie au sein du Parlement. Nous verrons ce qui adviendra.
La PMA est refusée aux couples d’homosexuelles dans la version actuelle du texte…
C’est une première étape. Vous connaissez mes positions. Aujourd’hui, je défends le projet de loi tel qu’il [a été] présenté mercredi.
Si elle ne figure pas dans le texte final, cela ne risque-t-il pas de conduire à un système hypocrite en apportant un cadre légal (via l’adoption) aux couples homosexuels ayant conçu ou qui vont concevoir des enfants via la PMA à l’étranger?
J’assume totalement qu’il puisse y avoir d’autres questions qui se posent, et qu’il faille, à un moment donné, y répondre. Je suis pragmatique: au moins 40.000 enfants sont élevés par des couples homosexuels. Il faut leur donner un cadre fourni par la loi, au lieu de les enfermer dans un non-dit. C’est dans l’intérêt de l’enfant.
A quoi vous attribuez les réticences envers le projet de loi?
Les Eglises sont beaucoup montées au créneau. Mais le mariage civil a été institué, et nous sommes dans un Etat laïc.
Quel sera le statut du «beau-parent» (ou du «tiers») qui élève l’enfant biologique de sa compagne/compagnon?
Pour l’heure, rien n’est prévu, que ce soit pour les familles homos comme hétéros. Cela peut poser problème au quotidien. Cela fait partie des questions qu’il faudra un jour régler.
La question du bien de l’enfant est au cœur des discussions. Les opposants affirment qu’il a «besoin d’un père et d’une mère»…
Au nom de quoi, sinon un présupposé, les enfants ne seraient pas aussi bien éduqués et aimés dans une famille homoparentale? Avoir un père et une mère n’est pas le gage d’une bonne éducation ni de l’amour parental. Il y a aussi un argument très méprisant envers les couples homosexuels, qui dit qu’il ne faut pas laisser croire aux enfants qu’ils seront nés de deux hommes ou deux femmes. Il n’a jamais été question de laisser penser ça.
Les Français semblent moins enthousiastes, selon un sondage paru samedi dernier: 58% sont favorables au mariage homosexuel et 50% à l’adoption (contre 63% et 56% en 2011). Assiste-t-on à un retournement?
Non. On n’entend que les opposants depuis un mois. Mais le débat va se rééquilibrer. La société est beaucoup plus mature qu’on le croit. L’homosexualité n’est ni de gauche ni de droite, ni de la ville, ni de la campagne, ni du nord ni du sud.